Charles Hirlimann,
directeur de recherche émérite du CNRS à l’IPCMS
Aux temps lointains
Que la lumière soit ! En apprivoisant le feu il y a de cela 1,5 millions d’années au moins, nos ancêtres hominidés ne soupçonnaient pas l’univers de connaissances qu’ils ouvraient à leurs
descendants. En faisant reculer la nuit, ils se donnaient le temps de renforcer leurs liens sociaux, mais surtout, les anciens pouvaient transmettre leurs savoir-faire aux plus jeunes, débutant, sans
le savoir, l’accumulation de connaissances qui est le véritable propre de l’homme. Il fallu plus d’un million d’années pour que dans l’abris sous roche de Menez-Dregan en Bretagne se développe une
culture dominant complètement la production de lumière par le feu.
Plus près de nous, il y a seulement 36 000 ans, des Homo sapiens, nos ancêtres directs, en produisant de véritables chefs-d’œuvre pariétaux, nous ont laissé dans la grotte Chauvet un
témoignage éblouissant de leur maîtrise de l’éclairage. Le noir dans ces grottes profondes est total, il faut des moyens très importants, lampes à graisse et torches, et surtout une logiste
d’approvisionnement sophistiquée en matériaux variés pour assurer un éclairage permettant une telle qualité picturale. On comprend bien que ces œuvres sont faites pour être montrées ce qui nécessite
aussi une débauche d’éclairage et de la même manière que la profusion de lumière dans nos églises asseyait le pouvoir du clergé, le spectacle des grottes ornées servait probablement des hommes de
pouvoir.
L’âge d’or de la Grèce, entre les Ve et IVe siècles avant notre ère, voit de grands philosophes s’interroger sur la lumière. Empédocle (490-430 av. n. è.) pensait que nos yeux captaient une émission
des objets nous entourant, Platon (428-347 av. n. è.) et son élève Aristote (384-322 av. n. è.) ont fait l’hypothèse de l’extramission, de l’émission par les yeux de rayons visuels qui après
réflexion sur les objets y revenaient. Démocrite d’Abdère (460-370 av. n. è.), dans le cadre de son hypothèse atomique de la nature, pensait qu’il existait une classe particulière d’atomes qui
rebondissaient sur les objets avant d’atteindre les yeux. La grande avancée grecque en optique est la conceptualisation du rayon lumineux et la reconnaissance que la réflexion de la lumière se fait
dans la plan d’incidence formé par le rayon entrant et la normale à la surface réfléchissante.
L’entrée en science
C’est aux alentours de l’an 1000 de notre ère que la lumière entre dans la science. En 984, Ibn Sahl, savant perse à la cours de Bagdad, publie un texte sur les miroirs ardents et les lentilles. Le
premier, il découvre la loi des sinus qui permet de déterminer l’angle de réfraction d’un rayon lumineux à sa traversée d’un dioptre (la surface d’un lac, par exemple). Ce rayon reste dans le plan
d’incidence-réflexion sur la surface, voir la figure ci-dessous.
Alhazen (Ibn al-Haytham), savant dans le califat fatimide du Caire, publie de très nombreux ouvrages, au cours des premières décennies de l’an 1000. Dans son traité d’optique, il développe la méthode scientifique et bien que ce traité soit perdu, son contenu a survécu à travers sa traduction latine, du XIIe siècle : De Aspectibus ou Opticae Thesaurus: Alhazeni Arabis. Dans cet ouvrage Alhazen a exploré de manière approfondie les principes de la vision, de la lumière et de l'optique géométrique et il a été le premier à comprendre correctement la formation des images par des lentilles et des miroirs. Plus largement, il fut un pionnier de la méthode scientifique moderne, étant le premier à clairement théoriser une méthode incluant la production d’hypothèses devant être vérifiées par l’expérience.
Il fallut attendre 1621, pour que la loi de la réfraction de la lumière soit à nouveau publiée par Snell, suivit par Descartes en 1637. Cette loi stipule qu’un rayon lumineux qui se propage dans
un milieu caractérisé par un nombre n1, s’il pénètre, sous un angle d’incidence i1, dans un milieu caractérisé par le nombre n2, il fait alors avec la normale au plan qui sépare les deux milieux, le
dioptre, un angle i2, tel que n1 sin I1 = n2 sin I2. Le rapport des sinus des angles d’incidence et réfracté est une constante qui ne dépend que de la nature des matériaux qui forment le
dioptre.
Il y a plus de 3500 ans, les peuples de l’Euphrate et du Tigre, confrontés annuellement au remembrement cadastral imposé par l’inondation des fleuves, ont su maîtriser les propriétés du rectangle et
de sa moitié le triangle rectangle. Si l’on allonge la diagonale d’un rectangle on peut en tracer un plus grand avec toujours le même angle à la base, quelle que soit la taille du rectangle
construit sur une même diagonale. Dans le triangle rectangle formé par une moitié de rectangle on nomme hypoténuse le côté opposé à l’angle droit. Quelle que soit la taille du triangle, le rapport de
la longueur du côté opposé à l’angle à la longueur de l’hypoténuse est un nombre constant qui caractérise l’angle. Au XIIe siècle on a donné le nom de sinus à ce nombre. Dans son travail sur la
réfraction Descartes a surtout publié une table de valeurs du sinus en fonction de la valeur de l’angle. Aujourd’hui on peut estimer à 4,3 milliards le nombre de personnes disposant d’un smartphone
dont la calculette permet de calculer le sinus de n’importe quel angle !
La figure ci-dessus schématise le trajet de rayons lumineux d’un faisceau parallèle de lumière provenant de l’infini à la traversée d’une calotte sphérique de verre – une lentille plan-convexe –. Les rayons ne sont pas affectés par la traversée du verre, ils obéissent à la loi des sinus lors de leur traversée d’un dioptre séparant l’air du verre. À leur arrivée sur le plan de la lentille, leur angle d’incidence est nul et ils ne subissent aucune déviation. Il en va de même avec le rayon passant par le centre de la lentille qui rencontre à son dioptre de sorti un plan qui lui est orthogonal. Les autres rayons rencontrent en sortie, un dioptre sous un angle d’incidence qui dépend de la courbure de la calotte. Pour une forme sphérique tous les rayons convergent en un point unique nommé « foyer ».
Cette dénomination fait référence aux études des philosophes grecs et des savants arabes sur les miroirs « ardents » qui en concentrant les rayons du Soleil permettaient l’allumage d’un
feu.
Le XVIIe siècle européen voit la science fortement se développer et la science de la lumière en est un des piliers. Apparues au XIIIe siècle, les lunettes de vue pour corriger la presbytie,
indispensables aux moines copistes vieillissants, résultent d’un lent développement pragmatique des techniques de taille du verre. C’est pourtant la connaissance des lois de la réfraction qui
permettent la compréhension fine de la formation des images. Il devient alors possible de construire des lunettes d’observation de l’infiniment grand et des microscopes pour l’observation de
l’infiniment petit.
En 1610, Galilée réussit à construire une lunette (grossissement x30) qu’il tourna vers le ciel. Il observe 4 satellites de Jupiter et les phases de Vénus, confortant ainsi la théorie héliocentrique de Copernic. Son observation de montagnes sur la Lune et de taches à la surface du Soleil montrèrent que les astres n’étaient pas les sphères immuables que l’on s’imaginait alors. Avant 1638, Galilée fut le premier à tenter une mesure de la vitesse de la lumière en utilisant l’occultation manuelle de lanternes distantes de quelques dizaines d’hectomètres. Il en déduisit que si la vitesse de la lumière n’était pas infinie elle devait être très grande.
Au cours du dernier quart du XVIIe siècle Antoni van Leuuwenhoek met au point à Delft les premiers microscopes. En utilisant, en guise de lentille, une bille de verre millimétrique, il obtient des grossissement de l’ordre de x200 qui lui permettent de dévoiler l’existence des protozoaires et des bactéries, mais plus important il initie, en 1673, un mouvement d’observation du monde microscopique qui se poursuit aujourd’hui. À titre de comparaison, l’œil humain perçoit au mieux des objets d’une taille d’environ 100 µm, l’épaisseur d’un cheveux fin, alors que Leeuvenhoek a pu observer des objets 100 fois plus petits.
Sur la nature de la lumière
La méthode scientifique a pris son élan, elle sera appliquée à la compréhension de la nature de la lumière qui paraissait si mystérieuse.
Isaac Newton se lance dans l’aventure. En plaçant un prisme sur le trajet d’un rayon de Soleil pénétrant sa chambre à travers un trou du volet, il découvre que la lumière blanche se décompose dans
les couleurs de l’arc-en-ciel ; un deuxième prisme lui permet de recomposer la lumière blanche. La découverte est d’importance : l’angle de réfraction de la lumière à la traversée d’un
dioptre dépend de sa couleur : le rouge est moins réfracté que le bleu. Il en déduit la cause de l’arc-en-ciel (Figure 6) et des aberrations chromatiques des lentilles. Pour circonvenir ces
aberrations colorées des lunettes, il invente le télescope à miroir. Isaac Newton est célèbre et connu du plus grand nombre pour ses travaux sur la gravitation qui lui ont permis de comprendre
pourquoi les pommes tombaient au sol tandis que la Lune se maintenait dans le ciel sans tomber. Son grand traité d’optique, publié en 1704, est d’égale importance à son traité de Mécanique.
Comment nos yeux réagissent-ils à cette lumière composée ? L’œil des mammifères est un instrument d’optique simple composé d’une seule lentille, le cristallin, sur laquelle l’action de muscles ad hoc permet d’en changer la focale pour obtenir des images nettes d’objets situés à des distance variées. Cette lentille produit, au fond de l’œil, des images inversées sur la rétine constituée de cellules spécialisées qui transforment la lumière en signal électrique envoyé au cerveau pour analyse. Le centre de la rétine à forte densité de cellules, la fovéa, contient trois types de cellules coniques sensibles au rouge, au vert et au bleu permettant la vision nette des objets et de leurs couleurs. La périphérie de la fovéa contient majoritairement des cellules en forme de bâtonnets, très sensibles à toutes les couleurs offrant une vision de nuit améliorée en noir et blanc.
À la même époque, en 1690, Christian Huygens, savant hollandais de La Haye propose une théorie ondulatoire de la lumière basée sur une analogie avec les « ronds dans l’eau » ces ondes circulaires que l’on observe à la surface d’une étendue d’eau après y avoir fait tomber un caillou (figure ci-dessous). Il démontre que cette compréhension de la lumière permet de retrouver la loi des sinus de la réfraction. Bien qu’elle le permette, cette approche ne conduit cependant pas à une compréhension intuitive de la propagation en ligne droite des rayons lumineux. Pour comprendre la réfraction, la théorie de Huygens implique que la lumière doit se propager moins rapidement dans l’eau que dans l’air.
Au même moment, la vision mécaniste du monde de Newton l’incite à penser la lumière comme composée de flux de particules. Au passage d’un dioptre, air-eau par exemple, les particules de lumière
subiraient une force dans le plan du dioptre qui les dévie en respectant la loi des sinus. La conséquence de cette approche est la nécessité pour la lumière de se propager plus rapidement dans le
milieu réfringent (ici l’eau) que dans l’air.
Comme on ne sait pas encore mesurer la vitesse de la lumière, il n’existe pas de moyen de départager les deux théories avancées sur la nature de la lumière, et les choses restent figées tout au long
du XVIIIe siècle. La renommée de Newton est telle et la théorie ondulatoire de Huygens semble complexe, de sorte qu’elle s’estompe pour disparaître. La lumière est considérée comme particulaire par
consensus mou.
La lumière est une onde transverse !
Comme souvent en physique, les avancées du XVIIe siècle sont suivies d’une longue période d’assimilation et d’exploitation : la dioptrique est raffinée et abondemment utilisée dans le
développement instrumental, télescopes et microscopes deviennent des instruments efficaces. Pour ce qui concerne l’éclairage, il n’y a pas de progrès sensible : les pauvres utilisent des lampes
à huile, les riches complètent avec des chandelles et les plus riches utilisent des bougies de cire.
Le siècle est terminé. 1801, coup de tonnerre ! L’Anglais Thomas Young, initiateur du déchiffrage des hiéroglyphes, réalise une expérience extraordinaire. Il crée une source ponctuelle de
lumière monochromatique en éclairant un écran percé d’un trou étroit avec la lumière du Soleil filtrée par un prisme. La lumière de cette source éclaire alors un écran percé de deux fentes très
étroites séparées d’environ 1 mm, qui éclairent un troisième écran. Qu’y voit-on ? Une série de bandes de lumineuses régulièrement espacées séparées de bande sombre (Figure 8). Une telle
observation est incompréhensible si l’on considère la lumière comme un flux de particules, seul un comportement ondulatoire de la lumière permet de comprendre le phénomène. Young démontre ainsi que
la lumière est composée d’ondes.
Une onde est la propagation d’une variation réversible locale d’une quantité physique. En termes plus simple, il suffit de penser à nouveau aux ronds dans l’eau : l’onde dans ce cas est en
tous points de la surface une variation périodique de la hauteur d’eau. Un bouchon posé sur l’eau oscille verticalement au passage de l’onde sans se déplacer, ce qui se déplace c’est la propriété
physique locale « hauteur de l’eau ». Une onde peut être transverse, c’est à dire perpendiculaire à sa direction de propagation. C’est le cas des ronds dans l’eau ou des vibrations d’une
corde de guitare. Elle peut être longitudinale, dans le sens de la propagation. C’est le cas des sons qui sont la propagation de la variation locale de la pression de l’air, ce que l’on observe
facilement avec la membrane d’un haut-parleur émettant un son très grave.
Dans l’expérience de Young, dans certaines directions les deux ondes qui émergent des fentes ont leurs maxima et minima qui coïncident (elles sont en phase) elles s’ajoutent sur l’écran d’observation
et contribuent aux bandes brillantes de l’expérience. On dit que l’on a une interférence constructive. Dans d’autres directions, les maxima coïncident avec les minimas (elles sont en opposition de
phase) et elles se soustraient sur l’écran d’observation aux lieux des bandes sombres. On dit que les ondes interfèrent destructivement.
Qu’en est-il du caractère longitudinal ou transverse des ondes de lumière ? En 1808 Étienne Louis Malus, observant de sa chambre les reflets du soleil couchant sur les vitres du palais du
Luxembourg à Paris, tout en manipulant un spath d’Islande1, découvre l’extinction partielle de la lumière réfléchie pour certaines orientations de son cristal. Il a découvert la polarisation de la
lumière. La calcite est un cristal possédant un axe optique unique, une direction de propagation de la lumière, pour lequel la loi des sinus s’applique. Dans les autres directions il existe deux
indices de réfraction ce qui entraîne l’apparition de deux rayons à la traversée du cristal et donc la formation de deux images (Figure 9). Malus a découvert la polarisation de la lumière et
cette polarisation s’explique en considérant les vibrations associées aux ondes lumineuses comme étant transverses à la direction de propagation.
… qui difracte
Francesco Maria Grimaldi découvre la diffraction (qu’il nomme) en 1660, son travail est publié post-mortem en 1665. Huygens en fait une interprétation ondulatoire et l’étude du phénomène est
entreprise en 1619 par Augustin Fresnel, dans le modèle ondulatoire mis en œuvre par Young. Après un premier mémoire publié en 1816, en 1818, Fresnel répondit à un concours de l’Académie des sciences
sur la diffraction. Le jury d’examen exclusivement composé d’adepte de la théorie corpusculaire de Newton réfuta son travail en montrant qu’il prédisait l'existence absurde d'un point lumineux au
centre de l'ombre projetée d'un petit disque éclairé par une source ponctuelle. Intrigué, Arago réalisa une expérience avec un petit disque opaque de 2 mm de diamètre et observa bien une tache claire
au centre de l’ombre du disque. La théorie ondulatoire de la lumière se trouva donc fortement confortée.
La diffraction de la lumière est un effet d’interférences d’ondes autour d’un objet. En cela elle est responsable des limitations de résolution rencontrées dans tous les instruments d’optique, elle
rend légèrement divergent un faisceau laser. Mais en contrepartie positive, Fraunhofer a gravé, sur des plaques de verre, des réseaux avec des milliers de rainures par millimètre, bien plus réguliers
que ce qui était possible avant lui. Ces réseaux diffractent la lumière en en dispersant les longueurs d’onde de manière beaucoup plus efficace que les prismes. À partir de 1821, la spectroscopie,
l’étude des spectres lumineux2, c’est à dire de la distribution des longueurs d’onde fait un bond en avant.
Quelle vitesse la lumière ?
Au XVIIe siècle règne le consensus que la lumière est une quantité en mouvement dont il convient de déterminer la vitesse.
En 1676 Christian Römer est astronome à l’observatoire de Paris. Il étudie les révolutions de Io, un des satellites de Jupiter découvert par Galilée, dont la période est d’un peu moins de 18 heures.
Il découvre que la durée de son occultation par la planète varie au cours de l’année. Dans un éclair d’intuition, il comprend que cette variation est due à celle de la distance Terre-Jupiter lors du
déplacement de notre planète sur son orbite (figure ci-dessous).
Il déduit de ses mesures qu’il faut 22 minutes à la lumière pour parcourir le diamètre de l’orbite terrestre (l’orbite est très proche d’un cercle). Combinant ce résultat avec une estimation du
diamètre de l’orbite terrestre, Christian Huygens établit la vitesse de la lumière à 220 000 km/s. Il fallut alors attendre 170 ans pour qu’en 1849, les techniques disponibles permettent une mesure
directe de cette vitesse.
Cette mesure directe de la vitesse de la lumière fut réalisée en 1849 Par Hyppolite Fizeau (voir Figure 12). Il utilisa pour cela un dispositif mécanique à roue dentée capable d’interrompre en
quelques dizaines de microsecondes un faisceau de lumière. Il trouva ainsi une valeur 5% plus grande seulement que la valeur actuellement admise de 299 792 458 m/s. À la demande de
Leverrier, le découvreur de Neptune, Léon Foucault, alors physicien de l’observatoire de Paris, construisit un dispositif à miroir plus précis pour la mesure de la vitesse de la lumière (1862). Grâce
à son instrument il put déterminer la vitesse de la lumière dans l’eau, trouvant qu’elle était plus petite d’environ 30% que celle dans l’air, n =1,33. Il put ainsi falsifier l’hypothèse
corpusculaire de la lumière chère à Newton. La lumière était ainsi assise fermement dans sa nature ondulatoire.
Dans leur jeunesse, Hyppolite Fizeau et Léon Foucault furent deux amis issus de familles suffisamment aisées pour qu’il puisse s’adonner à leurs frais à la mesure de la vitesse de la lumière. Cette amitié ne survécut pas à la féroce compétition dans laquelle ils s’engagèrent.
La lumière est une onde électromagnétique
Au mitan du XIXe siècle de nombreuses connaissances ont été accumulée, la lumière s’est peu à peu dévoilée. Cependant sa nature profonde n’est pas comprise. Mais une véritable révolution bouscule
d’autres domaines de la physique en cette première moitié de siècle, et c’est d’elle que viendra un éclairage nouveau sur la lumière.
En 1820, Ørsted, effectuant une expérience de cours, découvre avec stupeur qu’un fil conducteur parcouru par un courant électrique dévie l’aiguille d’une boussole. Jusqu’alors magnétisme et
électricité étaient des domaines physiques indépendants.
Stimulé par le travail d’Ørsted, Ampère découvre, la même année, que deux fils métalliques s’attirent si les courants électriques qui les parcourent sont de même sens et qu’ils se repoussent si les
courants sont de sens opposés, il découvre ainsi qu’un courant électrique crée un champ magnétique. Ampère unifie deux champs de connaissance jusqu’alors considérés comme indépendants : l’électricité
et le magnétisme, avec le théorème qui porte son nom et qui permet de calculer le champ magnétique créé par un courant électrique. L’année suivante, 1821, Faraday, inversant l’expérience d’Ørsted,
découvre qu’un fil électrique peut être mis en mouvement par un aimant. Il met au point le premier moteur électrique inversible en dynamo. Les quarante ans qui suivent sont une nouvelle période
d’assimilation, durant laquelle seront créé toutes sortes de nouveaux outils basé sur l’électricité : moteur, dynamo, alternateur, relais électrique, télégraphe, bobine de Ruhmkorff…
En 1865 le physicien écossais James Clerck Maxwell, publie une synthèse de l’électricité et du magnétisme : l’électromagnétisme. Cette synthèse comporte 20 équations à 20 variables qui aujourd’hui se
réduisent à 4 dans des notations plus compactes :
• Équation 1 : Loi de Gauss donnant le champ électrique créé par une densité de charges électriques .
• Équation 2 : Loi de Gauss pour le champ magnétique entérinant le fait que l’on ne connaît pas de charges magnétiques.
• Équation 3 : Loi de faraday de l’induction magnétique, une variation de champ magnétique produit un champ électrique.
• Équation 4 : Loi d’Ampère-Maxwell montrant qu’un champ électrique variable produit un champ magnétique variable..
Maxwell a noté que la loi d’Ampère ne rend pas compte du fait que la variation d’un champ électrique, sans courant électrique, induit un champ magnétique. Cette situation se rencontre, par exemple,
lors de la décharge d’un condensateur : aucun courant électrique ne traverse le condensateur mais un champ magnétique apparaît. Il modifie donc l’équation d’Ampère pour qu’elle en rende compte.
Il réalise alors que sa modification prédit un effet nouveau : un champ électrique oscillant crée un champ magnétique oscillant et ainsi une onde à la fois électrique et magnétique peut se
propager. Il est capable d’écrire l’équation décrivant la propagation de cette onde et trouve que sa vitesse de propagation est égale à la vitesse de la lumière.
La communauté des physiciens accepte mal cette onde électromagnétique extraordinaire que personne n’a jamais vue. Pourtant en 1887, Heinrich Hertz, à Karlsruhe, parvient à en démontrer l’existence
(figure ci-dessus).
Pour mettre en évidence les ondes électromagnétiques Heinrich Hertz utilise un émetteur constitué d’une tige métallique de 3 m de long interrompue en son milieu par un espace libre délimité par deux
petites sphères. Deux grosses sphères terminent les extrémités de la tige. Les grosses sphères constituent un condensateur qui est chargé à haute tension par une bobine à induction alimentée par des
piles. Quand la tension de charge dépasse un seuil qui dépend de l’intervalle entre les petites sphères, une étincelle se produit et le condensateur se décharge en produisant un courant oscillant
dans la tige qui forme antenne. Les ondes émises sont détectées à l’aide d’une boucle conductrice, elle-même interrompue. Quand des ondes sont émises par l’émetteur, un courant oscillant s’établit
dans la boucle et une étincelle se produit dans l’intervalle de l’interruption (Figure 14). À l’aide de son dispositif expérimental, Hertz produit des ondes d’une fréquence de l’ordre de 100 Mhz et
de longueur d’onde de quelques dizaines de centimètres. Ainsi fut réalisée la première transmission sans fil.
Poursuivant ses travaux, Hertz reproduit avec ces ondes, qui portent maintenant son nom, la réfraction dans un prisme de bitume, la réflexion sur un plan métallique, la diffraction, la focalisation
par un miroir parabolique et il établit que l’onde électromagnétique est de nature transverse. La conclusion s’impose : la lumière est une onde électromagnétique de longueur d’onde beaucoup plus
petite, quelques centaines de nanomètres.
La question de l’« éther »
Quelles avancées ! En cette dernière partie du XIXe siècle la lumière semble avoir livré tous ses secrets, de nombreuses propriétés ont été découvertes et même sa nature physique est connue. Il
y a bien une question à laquelle il faut essayer de répondre : qu’elle est le support de cette onde merveilleuse ? Le support des ronds dans l’eau, le support des ondes acoustiques sont
connus, quel est celui de la lumière ? On sait, pour les ondes matérielles que plus leur support est rigide plus la vitesse de propagation est rapide. Ainsi la vitesse du son dans l’air est de
l’ordre de 343 m/s alors qu’elle est 15 fois plus grande dans l’acier, ce qui permet à l’indien qui plaque son oreille sur le rail de chemin de fer d’entendre arriver le train beaucoup plus tôt. La
très grande vitesse de la lumière conduit à penser que son support est extrêmement rigide donc, mais, dans le même temps, la lumière se propage aussi dans le vide le milieu le plus ténu qu’il soit.
La contradiction interpelle.
Michelson et le chimiste Morley, utilisèrent en 1887, l’interféromètre développé par Michelson, dans une célèbre expérience destinée à mesurer l’effet du déplacement de la Terre dans l’éther
luminique. Cet éther était censé remplir tout l’univers et constituer une référence fixe de mouvement. Ils se proposaient de mesurer la vitesse de la lumière dans le sens ou à l’opposé du déplacement
de la Terre dans l’éther et ils s’attendaient à observer une vitesse de la lumière augmentée ou abaissée de la vitesse de notre planète suivant qu’ils plaçaient leur instrument dans le sens ou à
l’opposé du déplacement de la Terre. Il n’en fut rien ! Toutes les améliorations de la sensibilité de leur dispositif furent vaines, la loi de composition des vitesses n'était pas vérifiée par
la lumière. Il fallut se rendre à l’évidence : l’éther n’existait pas, les ondes électromagnétiques se propagent en l’absence de tout support et leur vitesse est une constante .
Il convient de noter que l’expérience de Michelson et Morley est un cas rare d’expérience dont le résultat négatif est d’une importance capitale.
Ainsi naquit la physique quantique
Le XIXe siècle voit apparaître les machines à vapeur qui accompagnent et soutiennent la naissance des sociétés industrielles. Poussée par la nécessité de comprendre les échanges thermiques dans le
fonctionnement de ces machines, une nouvelle science se développe : la thermodynamique. La spectroscopie de son côté permet de mesurer finement le contenu en fréquences (couleurs) de la lumière
et on cherche à comprendre les échanges d’énergie entre la lumière et la matière.
À la toute fin du siècle, la quasi-totalité des phénomènes physiques sont expliqués par la théorie de la gravitation de Newton et celle de l’électromagnétisme de Maxwell. Il reste quelques détails à
régler comme la relation entre la température d’un corps et son spectre d’émission de lumière. Expérimentalement la longueur d’onde du pic d’émission de lumière d’un corps chauffé est inversement
proportionnelle à la température. Ainsi, un morceau de fer chauffé à 800°C est rouge, de la lave à 1200°C est jaune et le Soleil à 6000°C est blanc. On sait aussi que le spectre d’émission est une
courbe en forme de cloche qui passe par un pic avant de redescendre à mesure que décroît la longueur d’onde.
Malheureusement, tous les calculs théoriques tentés pour reproduire la forme en cloche de la relation couleur-température échoue ! En effet, tous les calculs conduisent à une courbe qui ne
redescend jamais et qui favorise les ultraviolets. Selon les théories classiques, tous corps chauffé devrait émettre des ultraviolets en grande quantité, en contradiction avec la réalité. On parle
alors de « Catastrophe Ultraviolette ».
En décembre 1900, au tournant du siècle, Max Planck résout le problème du spectre d’émission des corps chauds. Pour cela il lui a fallu émettre l’hypothèse que la lumière et la matière n’échangeaient
pas l’énergie par quantités continues, mais par paquets d’énergie, les quanta, mesurés par la constante h. Longtemps, il eut du mal à accepter l’idée que sa technique de calcul avait une
signification physique.
Patatras ! La lumière est faite de particules
Au cours de ses expériences de mise en évidence des ondes électromagnétiques Heinrich Hertz à découvert, en 1887, l’effet photoélectrique : en éclairant un métal il est possible de lui arracher
des électrons.
L’année 1905, est pour Albert Einstein une annus mirabilis : il publie des articles qui sont tous d’une importance considérable.
Pour expliquer l’effet photo-électrique, il utilise la quantification de l’énergie de Planck pour justifier l’existence d’un seuil en énergie à surmonter pour extraire des électrons d’un métal. La
lumière est constituée de grains d’énergie bien définie par la fréquence de leur onde , cette énergie s’écrit h, où h est la constante définie par Planck pour les quanta d’échange d’énergie entre
la lumière et la matière. Si l’énergie des photons tombant sur un métal est inférieure à une valeur seuil W caractéristique du métal considéré, aucun électron ne peut s’échapper du métal, quelle que
soit l’intensité de la lumière. Si elle est supérieure au seuil W, des électrons s’échappent du métal. Les électrons extraits emportent par leur vitesse la différence d’énergie entre l’énergie des
grains de lumière et l’énergie seuil3.
L’existence d’un seuil W montre au passage que l’énergie des électrons dans le métal est elle-même quantifiée.
Patatras, en 1905, un siècle après l’expérience des fentes de Young qui permettait d’affirmer que la lumière est une onde, l’effet photoélectrique montre que la lumière est corpusculaire. Les grains
d’énergie de la lumière furent baptisés « photon »4.
La dualité onde-corpuscule
Passée la stupeur, force fut d’accepter le fait que la lumière est à la fois onde et corpuscule suivant la manière dont on la regarde. Cela heurtait les idées de l’époque : comment une entité
peut-elle être à la fois continue et discontinue ? La dualité en soi n’est pas une difficulté : la figure 18 montre un cylindre de diamètre égal à la hauteur : suivant qu’on le regarde
sur son axe ou perpendiculairement on observe soit un cercle soit un carré. Cet objet possède les propriétés d’un cercle et d’un carré sans que personne ne trouve rien à y redire. C’est l’antinomie
discret-continu qui a fait problème dans la dualité onde-corpuscule.
Notre promenade au fil du temps se termine ici. Elle nous a menée de l’invention du feu à la dualité onde-corpuscule. Mais surtout, elle nous a montré que la connaissance scientifique repose sur l’accumulation de connaissances que l’humanité engrange génération après génération. Le véritable propre de l’homme est d’être « un nain sur les épaules de géants », comme l’a dit Bernard de Chartre au XIIe siècle.