Samedi 21 décembre 2024, église abbatiale de Murbach
Allocution de Bernard Reumaux, Président de l’Académie d’Alsace
Nous ne réalisons pas ; nous n’arrivons pas à réaliser. Jean-Luc était la vie et le mouvement, il était le point de convergence et d’énergie pour sa famille, pour ses proches, comme il l’était dans tous les cercles où il avait choisi de s’engager, l’indispensable cheville ouvrière, efficace et discrète. Alors, non ! il ne pouvait pas nous quitter ainsi, non, pas lui, qui rayonnait parmi les siens, qui dénouait les tensions, qui apaisait. Et pourtant, son cœur, qu’il avait si généreux, l’a lâché, peut-être épuisé par tant de partages, de découvertes, d’expériences, d’attention aux autres.
Il avançait dans la vie comme sur les chemins de randonnée qu’il affectionnait tant, d’un pas ferme et sûr, dans un lien organique à la nature, à l’environnement, l’œil fixé sur l’horizon, attentif
aux aléas de la météo comme il l’était aux peines et aux joies de ses frères et sœurs en humanité.
La soudaineté de son départ, la fin brutale de sa précieuse présence auprès de nous tous - famille, amis et compagnons de route – nous offre aujourd’hui une révélation bienfaisante : il est là devant
nous, tel qu’en lui-même, intact, en simplicité, en vérité, en majesté, sans déclin ni déchéance. Dans la plénitude accomplie de sa vie. Je suis sûr que chacune et chacun d’entre vous se souvient,
avec précision, où et quand eut lieu la dernière rencontre, le dernier coup de fil, les mots qui ont été échangés, les rendez-vous à venir. Oui, vous tous ses amis, rappelez-vous ce dernier moment
partagé avec Jean-Luc, il restera à jamais fixé dans votre mémoire, et suspendez le temps, revivez la scène. Je crois que ce dernier souvenir vous apparaîtra comme l’instantané, le condensé, d’un
caractère hors normes, d’un destin singulier.
Le Jean-Luc que nous respections, que nous aimions, s’est fixé en nous. Il ne nous quittera pas, et éclairera notre chemin.
C’est un sage, un philosophe, qui vient de nous quitter. Il s’est formé toute sa vie, au fil de ses diplômes et des étapes de sa belle carrière d’agent, cadre puis dirigeant territorial, au long de
ses engagements privés et associatifs, lisant, étudiant, creusant, interrogeant, avec constance, avec exigence, loin des idéologies rassurantes, dans la quête du «souverain bien» cher à
Aristote.
Mais cette quête de sagesse n’avait de sens pour lui que si elle était mise en pratique, confrontée aux défis de la vie. Dès son enfance dans l’Alsace pauvre d’après la guerre, il a su trouver le
courage et les soutiens pour sortir de sa condition, progresser, s’élever, en restant fidèle aux humbles et solides valeurs transmises : la fraternité, le partage. Dans ses hautes
responsabilités professionnelles, dans ses engagements associatifs, dans le lien à ses proches, dans sa famille, c’était un homme de dialogue, d’écoute, de compromis, de solutions, de joie.
Avec ténacité, et constance. Dans notre monde trop pressé, trop brouillon, il savait
l’importance de l’ancrage local (son cher Murbach, sa chère vallée de Guebwiller, en
merveilleuse beauté aujourd’hui, pour lui rendre hommage) ; l’importance aussi du temps long, des parcours clairs. Tous ceux qui ont eu la chance, le bonheur, de collaborer avec lui savent combien il
apportait de sérénité dans les moments compliqués, combien il excellait à démêler les embrouilles, les querelles d’ego.
C’était un légitimiste, loin des chapelles, des petits complots, au service toujours de
l’intérêt général, recadrant avec doigté, relançant avec souplesse, faisant accoucher les solutions. Puis se retirant sur la pointe des pieds. Quelle élégance, quelle fluidité dans l’exercice de ses
tâches ! Nous savions ses points d’ancrage, sa famille, si précieuse pour lui, si affectée aujourd’hui, ses cercles d’amis, de collègues, de camarades ; nous savions ses jardins secrets, la montagne,
qui a été son indispensable poumon ; les plaisirs de la table, qu’il aimait partager en gourmet ; la lecture, son second poumon, qu’il pratiquait, celle-ci, en boulimique ; les discrètes actions de
solidarité auprès des nécessiteux, son rôle de médiateur, le don qu’il avait de consoler et relever des âmes en souffrance. Peut-on réussir sa vie sans
rendre service, sans restituer ce que l’on a reçu ? Jean-Luc répondait présent.
Il était entré à l’Académie d’Alsace, comme dans tous ses autres choix associatifs, avec curiosité et bonne volonté, en voulant tout autant apprendre qu’apporter. Être académicien ne lui donnait ni vanité ni désinvolture. Devenu secrétaire général de l’académie, il mettait son éthique et son professionnalisme au service de l’équipe en place, respectueux des codes de la compagnie, attentif aux usages et aux personnes, trouvant sa place, réglant les problèmes, inventant les solutions, avec discrétion et modestie, dans cette réserve chaleureuse qui le caractérisait, qui était sa patte, sa signature.
Jean-Luc avançait dans la vie en faisant des choix, pesés, mesurés, tant face aux projets qui lui étaient proposés que devant les personnes qu’il rencontrait. Dans les pas de Montaigne, il savait que
l’amitié, l’amitié vertueuse, est une élection. Jean-Luc nous délivrait des leçons d’amitié. Devenir son ami prenait du temps, se construisait pas à pas, dans le partage d’actions communes, dans la
conversation, le respect, la joie toujours. Car l’amitié élève, l’amitié éduque, elle exige le meilleur de nous, elle est la plus efficace des préparations à la vie en société, à l’apprentissage de
l’altérité, à la «décence commune» chère à George Orwell.
L’amitié de Jean-Luc nous obligeait, nous rendait meilleurs.
Le précieux bonheur de son amitié se mesurait pleinement lors d’événements personnels difficiles qui vous arrivaient : la finesse psychologique de Jean-Luc, son tact, qui n’excluait pas la franchise
de l’analyse et du conseil, étaient précieux, des chemins vers la lumière. Je sais ne pas être le seul à pouvoir en témoigner, et dire ma reconnaissance.
Réunir la vertu et le bonheur, c’est la leçon de sagesse que Jean-Luc, notre ami Jean-Luc, nous adresse face au défi cruel de sa disparition. Devant Marlène, Julie, Albin et les petits-enfants,
au-delà de la tristesse qui nous étreint, dans l’élan de solidarité que l’émotion et la reconnaissance font jaillir, nous pouvons dire : merci Jean-Luc !