Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts
    Académie d’Alsace   des Sciences, Lettres et Arts  

Des allocutions

Quelques interventions, lors de la CNA 2018

 

 

 

Colloque national des 32 Académies de France

CREF/Colmar – 3 octobre 2018

 

 

 

Allocution de Christiane Roederer, Président de la Conférence nationale des Académies

 

Monsieur Bernard Bourgeois, président d’honneur de la Conférence nationale
Monsieur Jean-Paul Meyrueis, président de la Conférence nationale
Mesdames, Messieurs les Présidentes et Présidents
Chères Consoeurs, chers Confrères,

Il ne s’agit pas d’un discours…

… Mais de l’expression d’une vivre gratitude pour votre présence à cette séance inaugurale d’un périple de quatre jours en Terre d’Alsace préparé avec passion par le comité  avec à sa tête Bernard Reumaux, président de l’Académie d’Alsace et Jean Hurstel, secrétaire général de la CNA.

Une gratitude particulière s’exprime à Mme Christiane Roth, présidente de la CCI, qui  nous accueille ce matin dans « sa maison » comme elle s’adresse à Madame Brigitte Klinkert, présidente du Conseil départemental du Haut-Rhin qui a pour notre Académie, depuis des lustres,  « les yeux de Chimène ».

Il s’agit aussi d’un vibrant hommage à Bernard Pierrat et Jean-Claude Gall, nos présidents d’honneur, ici présents et à leurs comités successifs.

Un hommage à ceux et à celles dont le soutien, l’investissement sans failles nous permettent aujourd’hui de nous réunir au nom des Sciences, Lettres et Arts.

Si nous appartenons à un grand corps à des titres différents
Nous sommes avant tout « Poussières d’Etoiles » inscrites dans la géographie céleste.
Proverbes, sentences populaires le suggèrent, l’affirment depuis la nuit des temps.
A plusieurs siècles de distance, un philosophe, Emmanuel Kant, et un scientifique Hubert Reeves reprennent la formule, celle qui a inspiré le titre de notre colloque.


Poussières d’Etoiles, même origine, même destinée.
A la formule « Tu n’es que cendres et poussières » ne faudrait-il pas ajouter… mais poussière d’étoiles comme une ouverture vers l’universel ?

Cette légitime aspiration à l’universel marque nombre de recherches et de travaux de nos Compagnies Savantes avec cette précieuse dose d’humilité et de persévérance mise en exergue dans leur longue et parfois chahutée existence.

Nous ne reviendrons pas sur celle de l’Académie d’Alsace sauf pour évoquer la figure de Pierre Messmer, Chancelier de l’Institut, l’un de nos parrains à la Conférence nationale, qui lors des cérémonies de notre 50e anniversaire de Refondation disait :
« Est-ce à dire que l’Alsace ferait pâle figure avec cinquante petites années d’existence ? Certes non. Pour parler franc, sans l’histoire dramatique des deux derniers siècles, vous pourriez mettre en avant vos origines lointaines, enracinées dans le grand mouvement des Lumières ».

Mais consacrons encore un instant au monde des étoiles.
Shakespeare nous engage à y revenir : « Ce sont les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent nos existences (Le roi Lear)

Quatre siècles plus tard, notre consoeur Marguerite Yourcenar précise : « Il n’est pas difficile de nourrir des pensées admirables lorsque les étoiles sont présentes »

Les scientifiques pourraient protester.

Se pose alors la question : Que serait la créativité, scientifique, littéraire, artistique,  si elle ne portait son regard au-delà de la sphère quotidienne ?

Où pourrait-il se poser - ce regard - pour trouver l’infinie inspiration nécessaire à la créativité ?
Croire ou non au pouvoir des étoiles, peu importe.

Il n’empêche qu’elles sont des symboles de l’esprit. Elles percent l’obscurité, projettent leur lumière sur la nuit de l’inconscient.

Ce symbole est repris à de multiples occasions.


Le drapeau européen :
Douze étoiles dorées symbolisant la perfection et la complétude.
Le bleu : représente le ciel et dans son caractère religieux, la couleur de la Vierge Marie
Les étoiles à 5 branches représentent les peuples d’Europe
Le cercle ouvert : symbole d’unité, de solidarité et d’harmonie.

 

Les « étoilés » de l’Université de Strasbourg
Soit 18 Prix Nobel, physique, chimie, médecine,
Un Nobel de la Paix à Albert Schweitzer, en 1952
Un médaillé Fields, René Thom, en 1959.
Deux nobélisés alsaciens non strasbourgeois : en 1913, Alfred Werner, en chimie, après des études à Mulhouse puis à Zurich ; en 1966, Alfred Kastler, en physique, après des études à Guebwiller puis  à Paris.
Soulignons que cette ample moisson s’étend (pour le moment !) de 1901 à 2016 elle concerne donc également la période de l’Annexion.

 

Le rayonnement international de l’Université de Haute Alsace

8000 étudiants, 475 enseignants, 350 chercheurs, 17 laboratoires.
Depuis près de 30 ans, les 7 universités du Rhin supérieur – les 3 universités de Strasbourg, celles de Fribourg, de Karlsruhe, de Bâle et l’UHA sont réunies au sein de la Confédération européenne des Universités du Rhin supérieur sous le sigle EUCOR.
« Le modèle universitaire mulhousien » un ouvrage du Professeur Jacques Streith, paru en 2009, évoque d’une part l’enseignement pluridisciplinaire de l’Université y compris une section d’apprentissage et d’autre part  l’histoire et les grands noms en particulier de l’Ecole de Chimie dans le domaine des colorants et des procédés de teinture.  

 

Le patrimoine architectural de l’Alsace
    Il est vrai que la matière, le grès des Vosges, dans ses déclinaisons de teintes selon les saisons et les heures, fut et reste une source d’inspiration pour les bâtisseurs qu’ils soient ceux de la cathédrale de Strasbourg, des abbayes, des monastères, des églises, des palais, voire des Verdures ou plus modestement de quelques éléments de décoration des maisons.
    A défaut de grès, les fleurs mettent en relief l’amour des Alsaciens pour leur demeure.
Rappelons l’inscription de Strasbourg en 1988 pour « la Grande-Île » et en 2017 pour « la Neustadt » au patrimoine mondial de l’UNESCO.
En deux mots est soulignée la singulière Histoire de la ville.

 

Le patrimoine culturel

Il est nourri, en deux langues voire trois, par les historiens, les poètes, les écrivains
Sans oublier les comédiens, les peintres…
La liste est longue,
riche d’enseignements, de passions, d’émerveillement, mais aussi de la douleur d’un petit peuple ballotté entre deux nations, deux cultures, deux langues.

Les créatifs toutes disciplines confondues, installés en Alsace ou ailleurs dans le monde, sont à la fois témoins et passeurs d’une Terre généreuse, inspiratrice.

Strasbourg en particulier a la tête dans les Etoiles

Grâce à son Observatoire et au Jardin des Sciences. Leur réputation n’est plus à faire. Il faut remarquer que l’astronomie débarque, souvent sous une tente gonflable, dans quelques écoles pour initier les élèves au mystère des étoiles notamment à travers les cadrans solaires, et peut-être faire naître des passions voire encore un futur prix Nobel !  

 L’Alsace, terre de la gastronomie,

Elle compte 30 chefs étoilés, pour le plus grand plaisir de nos visiteurs… et des Alsaciens !

 

2018 est pour l’Alsace, pour notre Académie, une année faste marquée par :
les cérémonies du 550e anniversaire de Gutenberg. Un hommage à l’imprimé comme vecteur de savoir, de culture, de foi, « du beau », symbole du bien moral selon  Kant.
Le 20e anniversaire de l’admission de notre Académie à la Conférence nationale
La réouverture de la bibliothèque humaniste de Sélestat

Nombre d’entre nous ont rencontré Alain Plantey, soit à l’Institut soit dans nos régions
 en tant que président d’honneur des Académies de province nommé par Pierre Messmer.

Nous ne pouvons oublier son amour des « mots ».
Il a donc digressé sur le mot « honneur » dans un discours tenu à l’Institut en 2009.
«L’honneur est une notion très française, à la fois individuelle et historique qui marque toute l’histoire de notre pays… L’honneur d’un Chef peut racheter l’honneur de toute sa Nation. Depuis le 18 juin 1940 Charles de Gaulle l’a montré : On peut tout perdre for l’honneur.
« Noblesse oblige », l’honneur oblige.
Les Académiciens sont tous porteurs et témoins de l’honneur. Etre élu Académicien par ses pairs est un honneur dans une vie, mais aussi une source d’obligations : obligation de tenue, de travail, de dignité, d’exemplarité. L’honneur n’est ni un droit, ni un profit, ni un déguisement ».

Nous aimerions pouvoir rassurer le président Alain Plantey :

« Nos Académies ont maintenu. Elles maintiendront ».

    Les Académies sont des lieux où l’on enseigne et où l’on apprend. Elles sont aussi des lieux de rencontres et d’échange dont elles donnent aujourd’hui une preuve éclatante. La tentation est de faire de nos académies des cénacles.
 Or si l’évocation du  monde des Etoiles peut nous encourager dans nos travaux il est nécessaire de l’associer à la Terre, à la réalité de notre société du XXIe s.
Soyons rassurés, associer la Terre au Ciel n’est plus un paradoxe, c’est-à-dire contraire à l’opinion commune qui voudrait en l’occurrence la séparation de ces deux éléments.
 Est-ce faire preuve d’orgueil ou de vanité d’imaginer que nos Académies puissent s’investir dans la réalité qui, de « tâtonnante », dispose de tous les moyens pour  enfin s’installer dans un humanisme renouvelé ?

A ce sujet, le propos d’Alain Plantey est clair : « Notre Conférence et chacune des Académies qu’elle regroupe porte une partie de la responsabilité du destin de notre civilisation ».

Nos 32 Académies en Région sont des forces vives. Elles comptent 1300 acteurs appelés à l’Action, à l’ouverture, au partage des talents ce qu’ils font de la plus admirable manière.

Néanmoins pour accroître le rayonnement de la Conférence ne faudrait-il pas s’attacher à développer les actions inter académiques et pourquoi pas des relations transfrontalières comme le fait l’Académie d’Alsace avec la Suisse et l’Allemagne ?
        
Le Président Woronoff vient de lancer le thème du colloque à Paris en 2019 : l’innovation.
 A ce mot qui navigue entre la crainte et le refus de l’immobilisme, le Président Woronoff insiste sur la différence entre innovation et invention dans la mesure dont l’une suit l’autre.  
Il s’agit non seulement de faire un retour sur l’Histoire mais d’aborder également la prospective.
    Le sujet est lancé. Il promet de passionnantes digressions dans le domaine des beaux-arts, des lettres, des sciences, de la politique, de la philosophie.
    Date de clôture : le  30 avril 2019.

 

De tous ces champs d’exploration, de suggestions, de projets, de résolutions que pouvons-nous faire ?  

Oser.
« Toutes les conquêtes sublimes sont plus ou moins des prix de hardiesse... Tenter, braver, persister, persévérer, être fidèle à soi-même, prendre corps à corps le destin ».
 
Une belle feuille de route pour nos académies fournie par Victor Hugo qui sait de quoi il parle !

Nous avons conscience qu’au début de toute action, il y a le Verbe, c’est-à-dire la parole.
Jusqu’à son dernier souffle, notre confrère le Professeur Pierre Karli a réaffirmé devant ses pairs :
« Le partage de la parole joue un rôle fondamental dans la construction, l’édification et la structuration de la personnalité et dans l’évolution de cette personnalité dans le temps ».
Un engagement solennel de nos Académies au partage et à la transmission du SAVOIR à la jeune génération.
Chaque mot a une longitude et une latitude. Il fait de nous des êtres sociaux.
Galilée tout comme bien plus tard Mallarmé nous donnent l’occasion de conclure :

 

« Avec 26 lettres, on peut écrire le monde » !

Et que peuvent faire les 32 Académies de la Conférence nationale ?

 

Christiane Roederer
Président de la Conférence nationale des Académies

    
    

 

 

    

  

 


 Visite du Conseil de l’Europe, le 4 octobre 2018
Exposé introductif par  Klaus  SCHUMANN


Je suis heureux que la Conférence Nationale des Académies ait choisi Strasbourg et cette maison pour faire honneur à l’Europe. C’est, d’une certaine manière, le retour aux sources, aux sources d’une aventure qu’on appelait plein d’espoir le « rêve européen ». Un rêve qui nous est, trop souvent, présenté aujourd’hui comme un cauchemar. Comme bouc-émissaire à l’origine de tous les maux qui frappent notre société, notre société qui ne se portait jamais aussi bien, au moins dans les yeux, dans le souvenir de ma génération qui a vécu bien pire, la guerre et l’après-guerre, le début d’une réconciliation, le développement d’une coopération et la pratique d’un nouveau vivre ensemble avec de moins en moins de barrières, de moins en moins de frontières….
Vous m’excuser de personnaliser cette entrée en matière. Mais je suis né dans cette région du Rhin supérieur, de l’autre côté du Rhin. Et le drame de la guerre et de ses répercussions, tout comme l’espoir d’un lendemain meilleur font partie de ma vie et font partie de mon regard sur l’Europe, de cette Europe qui était  et qui reste la chance de notre avenir.
OUI, au début de l’organisation institutionnelle de l’Europe il y avait le Conseil de l’Europe, il y avait Strasbourg. Au moment de la signature du statut du Conseil, le 5 mai 1949 à Londres, le Ministre des affaires étrangères du Royaume-Uni, Ernest Bevin, propose Strasbourg comme siège de cette première institution politique européenne. Il disait : »Le choix de Strasbourg m’a paru évident. Cette grande cité avait été témoin de la stupidité du genre humain qui essayait de régler les affaires par la guerre. L’Europe a gagné le droit de résoudre ses problèmes par des méthodes plus sensées…. Nous avons pensé que Strasbourg était vraiment le lieu qui convenait pour développer ce grand effort dans une atmosphère de bonne volonté. »
Cette maison du Conseil de l’Europe a toujours été la maison de la plus grande Europe possible. En 1949, au mois d’août quand les travaux ont commencé à Strasbourg, dans du provisoire, mais quand-même dans la grande aula de l’université pour l’Assemblée consultative, et aux salons de la mairie, place Broglie, pour le Comité des Ministres des affaires étrangères, ils étaient 12 Etats, parce que les 10 Etats signataires de Londres au mois de mai, ont été rejoints par la Grèce et la Turquie. Un détail, peut-être, mais politiquement intéressant. Au moment du 40è anniversaire de l’Organisation en 1989, qui fut également le crépuscule de la fin de la division idéologique du continent, ils étaient 23. Et aujourd’hui ils sont les 47 de l’Europe de Reykjavik à Vladivostok, dépassant l’Europe de l’Atlantique à l’Oural du Général de Gaulle.
Le Conseil de l’Europe a ainsi toujours été un indicateur pour la dimension européenne. Mais pas seulement pour la dimension géographique, mais surtout pour le contenu et l’objectif du projet européen.
Mais avant d’arriver à la rédaction et à la signatures du statut du Conseil de l’Europe en 1949, comme lancement de l’organisation d’une nouvelle Europe, il y avait des hommes et des femmes, qui, grâce à leurs propres convictions se sont faits les interprètes du cri unanime d’après-guerre entendu à travers l’Europe : » Plus jamais ça » et qui se sont engagés sur le chemin d’une construction européenne répondant aux attentes de la paix, de la liberté et de la justice. Il y avait les « étoiles ». Les étoiles source de lumière, incitateurs des rêves et indicateurs du chemin. Et après que le chemin a été tracé on a choisi les étoiles, les douze étoiles d’or sur fond azur, le symbole de ce projet européen.
Le Conseil de l’Europe et son histoire répond ainsi parfaitement au thème de votre Conférence 2018 : « Des Etoiles et des Hommes ».
Parmi les hommes précurseurs je ne mentionne que trois. L’italien Altiero Spinelli. Déporté par le régime fasciste de son pays sur l’île de Ventotene, il rédige avec ses amis, dès 1941, un manifeste pour l’Europe qui considère l’Etat national comme  la cause de la deuxième guerre mondiale. Le manifeste réclame l’abolition définitive de la division de l’Europe en Etats nationaux souverains. Spinelli est libéré en 1943 et crée le Mouvement fédéraliste européen qui adopte le manifeste comme programme.
Il y avait évidemment le français Jean Monnet, proche de Robert Schuman et un des principaux architectes de la future Europe.  Ayant vécu personnellement, en tant que haut fonctionnaire, l’échec de la Société des Nations de l’entre deux-guerres, il rappelle qu’en « 1918 nous avons gagné la guerre… mais, en 1919 nous avons perdu la paix ». La paix n’avait pas établi une solidarité dans l’égalité entre vainqueurs et vaincus. Elle a consacré les rapports de force nés de l’arbitrage des armes. Vainqueurs et vaincus sont aussitôt retournés aux jeux mortels de leurs rivalités traditionnelles. Monnet en conclut : »il n’y aura pas de paix en Europe si les Etats se reconstituaient sur une base de souveraineté nationale avec ce que cela entraîne de politique de prestige et de protection économique. Si les pays d’Europe se protègent à nouveau les uns contre les autres, la constitution de vastes armées sera à nouveau nécessaire. L’Europe se recréera une fois de plus dans la crainte. Il n’y aura ni paix, ni prospérité, à moins que les Etats d’Europe se forment en une Fédération ou une « entité européenne ». Cette vision pour l’avenir de l’Europe datait de 1943.
Et il y avait, last but not least, Winston Churchill qui évoque en tant que Premier ministre britannique, en 1942, l’après-guerre et la réorganisation de la famille européenne d’une façon unie, à l’intérieur d’un conseil de l’Europe au sein duquel les barrières entre les nations seraient largement réduites. C’est en tant que chef de l’opposition qu’il s’adresse, en 1946 à l’université de Zurich, à la jeunesse de l’Europe, en appelant à la réunification de la famille européenne fondée sur un partenariat entre la France et l’Allemagne. Ce fut l’appel à la création des Etats-Unis de l’Europe dont le premier devrait être la constitution d’un Conseil de l’Europe. Et si, au début, tous les Etats européens ne veulent ou ne peuvent pas y adhérer, une telle union européenne devrait réunir les pays qui le désirent.
L’impulsion définitive pour une construction européenne, basée sur des institutions communes, est venue du Congrès de l’Europe, initié par le Mouvement fédéraliste européen, qui s’est tenu en mai 1948 à La Haye. Pas une conférence intergouvernementale, mais un rassemblement de 750 personnes, des forces vives des peuples européens et de politiques qui aspiraient à un nouveau « vivre ensemble », faisant barrage aux tentations nationalistes et totalitaires antérieures. Winston Churchill était le président d’honneur du Congrès. Dans la délégation française on trouve des personnalités, telles que Raymond Aron, René Capitant, Jacques Chaban Delmas, Edouard Daladier, Edgar Faure, François Mitterrand, Paul Ramadier, Jacques Rueff, P.-H. Teitgen…..
Le Congrès adresse un message aux Européens : « Notre Europe désunie marche à sa fin. Aucun de nos pays ne peut résoudre seul les problèmes que lui pose l’économie moderne. A défaut d’une union librement consentie, notre anarchie présente nous exposera demain à l’unification forcée, soit par l’intervention d’un empire du dehors, soit par l’usurpation d’un parti de dedans ».
Dans ses résolutions politique, économique, sociale et culturelle, le Congrès présente la feuille de route pour l’avenir de l’Europe. C’est en premier lieu la reconnaissance du devoir urgent des nations de transférer certains de leurs droits souverains pour les exercer désormais en commun au sein d’une union politique et économique. Une Europe unie est la seule solution pour la paix en Europe ainsi qu’une contribution essentielle pour une paix dans le monde. A cette Union ou Fédération européenne devrait être associée  une Assemblée européenne comme expression de l’opinion publique et comme organe d’impulsion et de contrôle de l’Union. Comme garant des libertés une Charte des droits de l’homme devrait être élaborée, juridiquement obligatoire grâce à une Cour suprême, organe de contrôle judiciaire et instance supérieure aux Etats.
Les résolutions du Congrès de l’Europe faisaient appel à la création d’institutions européennes à caractère supranational. Une demande, politiquement guère réaliste pour une grande majorité de pays qui venaient, seulement depuis peu, d’avoir regagné leur souveraineté nationale.
Cet appel aux dirigeants politiques et aux gouvernements européens a eu une réponse relativement rapide. Un an plus tard ce sont les débuts de l’Europe institutionnelle avec la signature du statut du Conseil de l’Europe. Même si les Etats n’étaient pas prêts à abandonner leur sacro-sainte souveraineté nationale, en se limitant à la coopération intergouvernementale, des pas géants sur le chemin de la construction d’une nouvelle Europe ont été accomplis. Accomplis parce que le statut de cette première organisation politique n’est pas l’expression d’une palette de vœux pieux, mais il préconise des engagements obligatoires.
A la base le Conseil de l’Europe est une organisation classique de la coopération intergouvernementale, avec un Comité des Ministres des affaires étrangères qui assume la responsabilité politique pour cette coopération. Mais le statut était également innovateur dans les relations internationales  en mettant en place, comme deuxième organe officiel de l’organisation, une représentation parlementaire. Le monopole de la diplomatie secrète des gouvernements a été brisé. Les élus des peuples avaient, dès à présent, voix au chapitre. Une nouvelle dimension pour les affaires européennes, maintenant ouvertes au débat public. Très vite, au courant des années 50, en créant la Conférence (aujourd’hui Congrès) des pouvoirs locaux et régionaux, et en accordant un statut officiel aux Organisations Internationales Non Gouvernementales (OING), le Conseil a élargi le projet européen à l’ensemble des acteurs de la société.
 Enfin, le statut impose des obligations qui n’ont jamais été pratiquées jusqu’à ce jour dans un cadre multilatéral. La mission primaire était la réalisation d’une union plus étroite entre les pays membres. Et l’appartenance à ce nouveau Conseil de l’Europe était liée à l’engagement obligatoire sur le respect de valeurs et principes communs. Ces obligations consistaient dans la pratique d’une gouvernance démocratique basée sur des élections libres, le respect des droits de l’homme, et surtout la garantie de la prééminence du droit après la violation permanente du droit par le pouvoir autoritaire et totalitaire du passé. Ces trois fondamentaux, - démocratie pluraliste, droit de l’homme et l’Etat de droit -, sont ainsi devenus, dès 1949, l’ADN démocratique pour toutes les institutions européennes à venir. L’Europe a mis des obligations à la place d’options.
Le nouveau Conseil de l’Europe a également révolutionné le droit international avec l’adoption, dès 1950, de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) et son mécanisme de contrôle. Le Conseil a instauré la supranationalité dans le domaine de la protection des droits de l’homme. Ceci fut une percée politique modèle dans le cadre des relations internationales, inégalée jusqu’à nos jours. La juridiction de la Cour de Strasbourg reste un atout pour les 820 millions citoyens dans les aujourd’hui 47 Etats membres. Cette garantie supranationale de la protection des droits de l’homme pour la région Europe est également exemplaire pour le reste du monde.
Après avoir arrêté les fondamentaux, l’ADN démocratique de l’Europe, il fallait répondre à sa mission primaire : « réaliser une union plus étroite entre ses membres afin de sauvegarder et de promouvoir les idéaux et les principes qui sont leur patrimoine commun et de favoriser leur progrès économique et social ». Pour y arriver l’action du Conseil est caractérisée par son œuvre normatif. Il s’agit des conventions du Conseil de l’Europe (plus que 200) qui sont des accords qui contribuent à l’harmonisation juridique et surtout à l’avancement sociétal de l’Europe ; le rapprochement des sociétés européennes, en plaçant les intérêts des citoyens au centre de son action. Ainsi « L’Homme dans la Société » fut le titre du programme de travail de l’Organisation dans les années 70.
Il y a des accords phares, tels que la Convention européenne des droits de l’homme (1950), la Convention culturelle (1954) et la Charte sociale (1961). Ma collègue Kathrin Merkle vous donnera plus de détails sur l’impact de la Convention culturelle qui a fait de la diversité une véritable force commune.
Je me limite juste à mentionner que dès les années 60 l’enseignement de l’histoire avec une lecture européenne de cette histoire, ainsi que l’éducation avec celle à la citoyenneté démocratique, sont des contributions essentielles du Conseil au renforcement de l’identité européenne. Dès 1970, avec la création du Centre européen de la Jeunesse, la jeunesse trouve sa place officielle au sein du Conseil. On accorde aux représentants des organisations de la jeunesse la codécision pour le choix des travaux intergouvernementaux dans ce domaine.
Pour mentionner quelques autres initiatives et conventions dans d’autres domaines : le Conseil fut pionnier dans la prise de conscience commune des défis à la société moderne dans le domaine de la protection de l’environnement naturel et bâti avec des campagnes comme l’ Année européenne de la nature (déjà en 1970) et l’Année européenne du patrimoine architectural (1975). Et également la Convention relative à la sauvegarde de la vie sauvage et du milieu naturel, de 1979, garde son exemplarité et sa valeur jusqu’à nos jours. Avec la Pharmacopée européenne (1964) le Conseil devient une référence mondiale dans le domaine de la protection de la santé.
Suivant l’exemple de la pratique de la coopération transfrontalière, ici dans la région du Rhin supérieur, entre des communes en France, en Allemagne et en Suisse, dès le début des années 60, le Conseil a adopté en 1980 la Convention sur la coopération transfrontalière des collectivités ou autorités territoriales, véritable condition préalable d’une Europe sans frontières.
Cette action normative  a suivi l’actualité des défis et des problèmes de société jusqu’à nos jours. Des multiples autres conventions en témoignent, comme celle relative à la protection des données personnelles (en 1981 déjà) et la protection contre d’autres abus  du progrès technologique, comme dans le domaine de la Bioéthique, de la Cybercriminalité, de la Contrefaçon des produits médicaux, mais également dans la lutte contre le dopage, contre des opérations financières des « initiés, la corruption, la traite des êtres humains, le trafic des organes humains.
Cette énumération ne peut pas être exhaustive. Mais, je souhaite, quand-même, y ajouter pour les domaines d’excellence du Conseil, et particulièrement pour le renforcement de la démocratie : la Charte européenne de l’autonomie locale ou la convention sur la participation des étrangers à la vie publique au niveau local. Pour la perfection de la CEDH et son protocole No 6 sur l’abolition de la peine de mort, il s’agit de la convention contre la torture et les traitements dégradants, la convention pour la protection des minorités nationales ainsi que la Charte des langues régionales ou minoritaires, ainsi que les conventions sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, celles sur l’exercice des droits des enfants et sur la protection des enfants contre l’exploitation et les abus sexuels. Et finalement la convention pour la prévention du terrorisme et celle relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et au financement du terrorisme.
Bon nombre de ces activités normatives ont largement contribué à une Europe qui protège. Et, par l’accomplissement de sa mission « de réaliser une union plus étroite entre ses Membres », le Conseil a essentiellement renforcé la part émotionnelle du projet européen : ses valeurs et principes, sa dimension culturelle, son histoire commune, sans oublier les symboles. Dans la perception de  l’Europe par les citoyens les symboles prennent une place importante. Le drapeau des douze étoiles d’or sur fond d’azur est un pur produit de la maison. Sous l’impulsion du directeur de la communication de l’époque (Paul Levy), c’est un agent du Conseil, un graphiste strasbourgeois (Arsène Heintz) qui l’a créé et cette proposition a été choisi par l’Assemblée parlementaire et le Comité des Ministres. Quand le drapeau a été déployé en séance du Comité des Ministres, en décembre 1955, le Président, Liam Cosgrave, Ministre des affaires étrangères de l’Irlande disait : le drapeau «  est le résultat d’une longue série de discussions  sur ce qui pourrait le mieux symboliser notre Institution. Le Conseil de l’Europe est représenté dans cet emblème sous la forme d’un cercle fermé d’étoiles. Ces étoiles ne représentent ni des pays, ni des Etats, ni des races. Leur nombre restera invariable : douze est le symbole de la perfection et de la plénitude, comme l’union de nos peuples devrait être ».
« Comme l’union de nos peuples devrait être », cet appel politique a toute sa signification. Il fait du drapeau la bannière d’une identité commune, d’un destin partagé. Le drapeau européen est ainsi parfaitement à sa place à côté de chaque drapeau national. Depuis 1961 le « Drapeau d’honneur » aux douze étoiles est devenu une distinction pour l’engagement européen et ce sont des milliers de communes qui l’arborent depuis avec fierté.
Le Conseil de l’Europe, seul sur la scène institutionnelle, en 1955, a invité toute organisation européenne à venir, à également adopter, dans un élan d’unité, cet  emblème européen nouveau.
Et, les Communautés européennes, à la recherche d’un emblème, et donnant suite à une recommandation du Parlement européen, qui était à l’époque présidé par Pierre Pflimlin – maire de Strasbourg et grand européen -, ont fait, en 1986, du drapeau du Conseil de l’Europe l’emblème commun des institutions européennes. Tout comme pour l’ »Ode à la joie », choisie, en 1972, par le Conseil de l’Europe comme hymne européen.
Le drapeau européen symbole d’unité pour les uns, fut également signe d’espoir pour les autres. Ainsi Vaclav Havel disait, en mai 1990 : « Pour moi, les douze étoiles de votre emblème signifient que l’on pourrait vivre mieux sur terre si l’on osait de temps en temps lever les yeux vers les étoiles ».  Il faisait évidemment référence aux années qu’il avait passé dans les geôles de la police politique tchécoslovaque.
En effet l’Europe était en train de vivre un nouveau bouleversement politique et social.
Le 6 juillet 1989, l’Assemblée parlementaire avait invité Michael Gorbatchev, le, encore tsar rouge, Président du Soviet Suprême et représentant d’un Empire avec une autre mission historique : celle d’unir le monde autour des principes du marxisme-léninisme. Mais lui, il se distinguait déjà de ses archaïques prédécesseurs par la Glasnost et la Perestroïka. Et, il venait rendre visite à cette maison, encore considérée jusqu’au début des années 80 par Moscou, comme un bastion de la guerre froide. Et lui, il rendait hommage aux principes et valeurs du Conseil de l’Europe, organisation qu’il considérait comme un pilier essentiel dans sa conception de la future « maison commune » européenne. Il avouait que l’Union soviétique était encore loin d’être en conformité avec ces principes et  valeurs, mais qu’elle devrait un jour faire partie du Conseil.
Ceci n’était pas un discours de circonstances et prononcé dans le vide. Selon le vieux système, encore bien en marche dans l’autre Europe, chaque discours d’un dirigeant devrait figurer le lendemain dans l’organe officiel du Parti, c’est-à-dire dans les « Pravda » de Moscou et des autres pays frères. Ainsi le message de Strasbourg de Michael Gorbatchev a été entendu dans l’autre Europe. Vous connaissez tous la suite, avec la fin de la division idéologique de l’Europe à partir de l’automne 1989. Dans la guerre des étoiles : l’Etoile rouge contre les douze étoiles d’or, ce sont les dernières qui avaient pris le dessus. Dès novembre 1989, le Comité des Ministres avait invité à sa session les Ministres des affaires étrangères de la Hongrie, de la Pologne et de Yougoslavie. A partir du printemps 1990, les hommes de la transition démocratique sont passés par l’hémicycle de l’Assemblée parlementaire pour exprimer leurs convictions européennes : les Walesa et Mazowieski de Pologne, le Premier ministre hongrois Antall, le Président philosophe Jelev de Bulgarie et à plusieurs reprises Vaclav Havel. Ils ont tous rappelé qu’il s’agissait pour eux d’un retour à l’Europe, une Europe qu’ils considéraient comme un destin historique. Et c’était une fois de plus Vaclav Havel qui rendait hommage à la plus ancienne et la plus grande organisation politique de l’Europe, « qui a des bases aussi solides  et saines et qui a déjà effectué beaucoup de travail utile. Oui, les valeurs spirituelles et morales sur lesquelles repose le Conseil de l’Europe et qui sont l’héritage commun de toutes les nations   européennes constituent la meilleure base possible pour la future Europe intégrée ».
Gorbatchev et l’Union soviétique avaient disparu, mais la nouvelle Fédération de Russie tenait à joindre l’Europe et le Conseil de l’Europe. Après son adhésion en 1996, son Président, Boris Eltsine, participait au Sommet des Chefs d’Etat et de Gouvernement, ici dans cette maison, en 1997, en disant : » Nous devons à présent commencer à construire ensemble une nouvelle Europe, une grande Europe exempte de lignes de division ; une Europe où aucun Etat n’imposera sa volonté aux autres ; une Europe où petits et grands pays sont des partenaires égaux unis par des principes démocratiques communs ». A ce moment, la délégation de la Russie était placé à côté de la délégation de Saint Marin dans l’hémicycle…. Tout un symbole !
Et tout le monde était présent : avec Eltsine, les Chirac, Blair, Kohl, Prodi et tous les autres, avec seulement deux absents évidents : les autocrates Milosevic et Loukashenko. Le Palais de l’Europe était devenu la véritable « Maison de la Grande Europe ». L’année d’après le rapport d’un Comité des Sages du Conseil de l’Europe, présidé par l’ancien Président du Portugal, Mario Soares, et avec un représentant de la Russie comme membre, titrait » « Construire la Grande Europe sans clivages » (without dividing lines en anglais).
Je termine avec cette image d’espoir d’un passé pas si loin. Parce que aujourd’hui, comme je disais en introduction, l’ »Europe espoir » semble être devenue l’ »Europe cauchemar ».
Les hommes ont changé. Ce ne sont plus les visionnaires de l’après-guerre, ni les euro-enthousiastes des premières années après la fin de la division idéologique du continent. Et les étoiles sont en train de se briser. Mais seulement une Europe forte et unie permettra à ses membres de décrocher les étoiles, disait, il y a un mois, le Président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, à 100 mètres d’ici, dans l’hémicycle du Parlement européen. Ceci me fait nous rappeler la phrase de Liam Cosgrave de l’année 1955 : « douze est le symbole de la perfection et de la plénitude, comme l’union de nos peuples devrait être ». Il n’y a guère de doute de quel côté se trouve l’ »euro-lucidité » dont nous avons tellement besoin.
Mais pour vous rassurer que le Conseil de l’Europe tient encore le cap et son rôle d’avant-garde, ma collègue Kathrin Merkle ne va pas seulement rappeler son action dans le domaine culturel depuis toujours, mais également les travaux actuels, y inclus sur l’intelligence artificielle.

 

 

 

L'Edito

Traduire, c'est relier

 

Le Prix Maurice-Betz 2023 de traduction a été remis samedi 7 octobre à Colmar à Antonin Bechler, professeur de langue et littérature japonaises à l’Université de Strasbourg, traducteur du grand écrivain Kenzaburô Ôé, Prix Nobel de littérature en 1994.

 

Le Maire de Colmar, parrain et partenaire de la cérémonie, et le Consul général du Japon étaient présents. La manifestation prenait place dans le cadre du festival régional de traduction «D’une langue vers l’autre ».

En ces temps géopolitiquement troublés, il est important de valoriser la traduction. Car la traduction ouvre les horizons géographiques et culturels, elle relie les humains aux ancrages si différents, elle honore des figures universelles de la pensée et de la littérature. La traduction enrichit la polyphonie du monde.

 

Le Colmarien Maurice Betz (1898-1946, photo ci-dessus), écrivain et traducteur (de Rainer Maria Rilke, Thomas Mann, Friedrich Nietzsche), passeur entre les langues française et allemande en des périodes pourtant conflictuelles, est un symbole précieux pour notre région. Alors que le Goethe Institut a décidé de fermer son antenne strasbourgeoise, nous avons à veiller à l’ouverture rhénane et européenne de l’Alsace.

Le Prix Maurice-Betz de l’Académie d’Alsace existe depuis 1957 et a distingué des dizaines d’écrivains, poètes, traducteurs. Au-delà des remises de diplômes et des moments de convivialité qui les accompagnent, c’est un travail en profondeur qui s’accomplit, dans le meilleur des traditions humanistes d’ouverture et de rayonnement.

 

Bernard Reumaux
Président de l’Académie d’Alsace

 

Invitation à l’Agora du 19 novembre 2019

 

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