Samedi 30 octobre, Hôtel de Ville d’Obernai
Remise du Grand Prix de la Décapole à M. le Prof. Georges Bischoff pour son ouvrage « La guerre des paysans », Ed. La Nuée Bleue
Allocution de Christiane Roederer
Madame Isabelle Obrecht, représentant M. Bernard Fischer, maire d’Obernai ,
Madame Simone Piasi, adjointe au maire de Turckheim,
Monsieur Gilbert Scholly, vice-président du Conseil régional, maire de Barr
Mesdames, Messieurs,
Chères Consoeurs, chers Confrères,
Cher lauréat,
Je savais d’avance que sur la route pour rejoindre l’un des joyaux des villes décapolitaines, je prendrai conscience de la fuite du temps. En l’occurrence, onze ans sont entrés dans la mémoire de
l’Académie des Sciences, Lettres et Arts d’Alsace depuis sa dernière visite.
Grâce à M. le Maire Bernard Fischer et à vous, Madame Obrecht, nous avons à la fois l’honneur et le plaisir de revenir sur vos terres, peut-être berceau de Sainte Odile, où le décor architectural
fait se côtoyer si heureusement le Moyen-Age et la Renaissance. Hansi, dans ses aquarelles tout comme Henri Loux dans sa faïence, ont fait d’Obernai le symbole même de la province.
En 1354, Obernai, ville libre impériale devint un membre influent de la Décapole atteignant son apogée aux XVe et XVIe siècles. Elle en garde de prestigieux vestiges.
C’est assurément dans cette ville que devait se tenir la remise du Prix 2010 de la Décapole à l’un des plus remarquables historiens d’Alsace, j’ai nommé Georges Bischoff : professeur d’histoire
médiévale à l’Université de Strasbourg.
Sur les 456 pages de son ouvrage : « La guerre des paysans. L’Alsace et la révolution du Bundschuh, 1493-1525 » l’historien nous fait vivre, je devrais dire nous fait participer, à
l’enquête qui tente de saisir les forces en présence dans l’espace et le temps d’une révolution populaire qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de l’Europe.
Notre confrère, Jean-Michel Boehler, lui-même fin médiéviste, nous entraînera dans les dédales de ce « tremblement de terre » (Naturereignis) aux dires de l’historien Léopold von Ranke
disparu en 1886.
Je ne vais donc pas m’aventurer sur les terres de Jean-Michel Boehler, tant sa culture et son talent sauront éclairer cet événement transformé, au cours des siècles, en mythe.
La Décapole née en 1354, dissoute dans la nuit du 4 août1789, est devenue au fil du temps, un véritable mythe : personne ne sait à quoi cela servit ni à quoi cela profita. Un syndicat de défense des villes domaniales ? Une concertation permanente ? Un cadre pertinent ? Une culture ? Georges Bischoff démontre les vrais égoïsmes et les fausses solidarités : monarchie sans tyrannie, aristocratie sans faction et démocratie sans désordre : le compliment offert aux Strasbourgeois par leur ami Erasme est un piège dans lequel sont tombés bien des historiens, conclut Georges Bischoff qui pour le dire franchement entame très sérieusement le monument de la Décapole.
Comme un clin d’œil à la même histoire, il se trouve, délicieux paradoxe, que notre historien reçoit aujourd’hui ce prix de la Décapole créé par le Professeur Raymond Oberlé en 1992 qui, sans
aucun doute, y a trouvé quelques bonnes raisons de la mettre en exergue.
Mais le rôle de l’historien n’est-il pas justement de faire revivre une histoire oubliée voire mythique pour interroger le présent ?
La révolte des paysans porte un titre générique de référence : le Bundschuh : c’est-t-à-dire le soulier à lacet, l’équipement de ceux qui marchent à pied, en d’autres termes, ceux qui
sont sur le terrain en opposition aux brodequins et autres poulaines, bottes et bottines. Le soulier est ici l’emblème des contestations. Il est la marque d’une classe sociale dont les peintres de la
Renaissance, entre autres, donnent d’excellents exemples.
Ce passage de l’ouvrage en question, pour des raisons très personnelles, me semble particulièrement intéressant tant « la chaussure » a joué et continue à jouer un rôle loin d’être anodin. Elle souligne une appartenance et révèle souvent le caractère de son propriétaire : soumission à une mode, contestation, vanité, snobisme, voire étourderie… Mais ceci est une autre histoire que j’ai analysée dans l’un de mes premiers ouvrages à partir des « godillots » de nos chasseurs d’ici et d’ailleurs.
En définitive, qu’est-ce qui fait de cet ouvrage un véritable chef-d’œuvre dans le sens où cette remontée dans une période si lointaine, si sombre, si éloignée de nos préoccupations du XXIe siècle fascine le lecteur dès les premières pages ?
Il semble que ce soit la personnalité de l’auteur qui transparaît dans la manière d’analyser l’événement tragique, son anti-conformisme ponctué d’humour. L’histoire se déroule devant nos yeux sous une plume libre, un style alerte, des remarques pertinentes non dépourvues de critiques et de pieds de nez à ce qui pourrait être quelquefois politiquement incorrect.
Georges Bischoff est bien un historien de notre temps celui qui retient l’attention – longtemps – du peuple si pressé du 3e millénaire !
Et puis, les dernières lignes de ce magistral ouvrage laissent place au plus pur des humanistes, celui qui peut toucher au plus profond notre sensibilité d’Académiciens : « Pour le
citoyen du début du XXIe siècle, où qu’il soit, les questions qu’elle posait (en parlant de l’Alsace) sont toujours actuelles : Vivre ensemble dans la liberté, l’égalité et la fraternité. Car
les morts continuent à faire rêver ».
En effet, le roman « Fryheit » 1525, vient de paraître aux Editions du Verger. Il est né de la plume inspirée de Gabriel Schoettel, notre confrère, qui met en scène Andréas, petit vigneron
de Marlenheim, rescapé du grand massacre qui a ensanglanté la plaine d’Alsace. Il y a perdu ses amis, son amour et jusqu’à son honneur. Roman poignant des paysans exploités en lutte contre les
pouvoirs abusifs, dans l’aspiration jamais assouvie des hommes à plus de justice.
Cette fascination pour le Moyen-Age compris entre le Ve et le XVe siècle, souvent considéré comme une longue période d’obscurantisme, s’exprime aussi dans un ouvrage de Guy Trendel : « L’Alsace au Moyen-Age, chroniques insolites et véridiques d’un millénaire fascinant » aux Ed. La Nuée Bleue. Il se lit comme un roman policier souligne le critique Claude Keiflin. Un ouvrage à découvrir.
J’ai le plaisir et l’honneur de remettre son prix à notre lauréat Georges Bischoff, avec les vives félicitations de notre Compagnie.
Vous me permettrez, avant de donner la parole à Jean-Michel Boehler, son laudateur, de faire une rapide incursion dans la vie de notre chère Académie. Après une assemblée générale à l’Institut des
études japonaises, nous reviendrons le 19 juin 2011 à l’Eco-musée d’Ungersheim. Entre temps nous aurons remis leur diplôme aux meilleures bachelières en série philosophique et scientifique au lycée
de Guebwiller et de Thann ; aux lauréats du Salon du livre de Colmar le 28 novembre ; le 30 janvier à Horbourg Whir, le prix « Schongau » à Pascale Hugues pour son célèbre ouvrage
« Marthe et Mathilde » ; une séance de printemps à Strasbourg à l’Ecole de Management en partenariat avec « l’Institut pour la promotion du lien social », fondé en l’an 2000
par notre confrère le Professeur Pierre Karli.
J’ajouterai que douze membres du comité ont assisté à Metz au Congrès de la Conférence nationale des Académies. Mme le Président Jeanne Marie Demarolle me charge de vous exprimer sa gratitude. Ce
furent des journées festives, chaleureuses, passionnantes, parfaitement organisées par le comité de Metz pour un congrès qui a réuni 250 personnes vivement intéressées par le thème :
« Urbanisme et pouvoir ».
À ceux qui ont participé à la « journée bonheur » à Pourtalès et au château d’Ittenwiller, j’ai le plaisir d’annoncer que cette rencontre inter académique sera reconduite par l’Académie de
Nancy le 28 mai 2011. Notre comité souhaite vivement que vous répondiez nombreux à cette invitation qui aura pour thème la musique.
Deux de nos membres sont à l’honneur au sein de la Conférence nationale des Académies : d’une part Liliane Borin dont le texte « La tolérance » a été publié dans le dernier n° de la
prestigieuse revue Akademos,
Et d’autre part, notre président d’honneur Jean-Claude Gall a été proposé pour une conférence à l’Institut à Paris en octobre 2011 lors du Congrès national des Académies.
Dès à présent, le comité entame sa dernière année d’exercice, en conséquence aussi la mienne. Nous avons tenu nos engagements « De la démocratie à l’humanisme » ; l’ouverture vers
la jeune génération par l’attribution de nos prix et la séance de travail programmée avec les étudiants de l’Ecole de Management de Strasbourg, futurs responsables au cœur du monde du travail.
Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour adresser au comité ma vive gratitude. Sans son travail constant, son implication à la bonne marche de nos manifestations, jamais l’Académie
des Sciences, lettres et Arts d’Alsace ne pourrait tenir sa place ni au sein de la Conférence nationale des Académies ni sur le terrain de notre Région.
Qu’il soit ici chaleureusement remercié tout comme je vous remercie, Mesdames, Messieurs, chères consoeurs, chers confrères, pour votre fidèle présence sans laquelle notre action serait dépourvue de
sens.