Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts
    Académie d’Alsace   des Sciences, Lettres et Arts  

Médecine populaire et traditionnelle en Alsace : l'ethnopharmacologie alsacienne

 

 

Christian Busser, docteur en pharmacie, docteur en ethnologie

 

Robert Anton, professeur émérite de l’Université de Strasbourg,  membre de l'Académie d'Alsace

 

 

Correspondance :

christian.busser@plantasante.fr
robert.anton@unistra.fr

 

Résumé

 

L’isolement relatif des villes et villages, jusque dans les années de la Première Guerre mondiale, ainsi que l’absence de moyens de locomotion rapides, ont favorisé l’utilisation traditionnelle des plantes médicinales et de nombreuses préparations complexes issues des trois règnes.
Les personnes âgées, surtout, permettent d’approcher la richesse de ce patrimoine, qui s’est maintenu jusqu’à nos jours en certains lieux, d’une part à travers quelques livrets familiaux de recettes médicinales, biens précieux, et, d’autre part, via une tradition orale bien conservée en dialecte alsacien ou en patois welche (hérité du roman avec quelques traces de gaulois).
Les recherches en ethnobotanique et en ethnopharmacologie (détaillant l’inventaire des ressources surtout végétales, et,  aussi, à travers les spiritueux, les remèdes d’origine minérale et animale) furent développées d’abord à travers les Kreuterbücher de la Renaissance alsacienne, puis avec les recherches du pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826), au Ban de la Roche, puis de Frédéric Kirschleger (surtout en ethnobotanique), puis de l’un d’entre nous (C.B) avec l’aide de son épouse dans les années 1995-2010.

 

 

Mots – clés

 

ethnomédecine, médecine populaire, Alsace

 

 

 

Historique

 

Les deux zones étudiées de la région d’Alsace composée en 2021 de la CEA
(Communauté européenne d’Alsace) sont les suivantes :
(1) Les zones montagneuses vosgiennes et le piémont des Vosges possèdent une tradition d’autant plus riche qu’elles étaient à l’écart des grandes voies de communication et développaient, par nécessité, une autonomie culturelle et linguistique : il s’agit des  pays welches francophones, patoisants et de tradition catholique, d’une part, et des vallées vosgiennes dialectophones avec une forte présence protestante autour de Munster, d'autre part.
(2) La plaine d’Alsace, dialectophone.


Les régions de montagne patoisantes sont très intéressantes par la richesse de leurs traditions, de la langue, par une certaine philosophie de la vie et par la médecine populaire : il s’agissait de zones pauvres et longtemps isolées avant le développement automobile.

Le patois, issu d’un subtil mélange entre la langue romane (Warburg, 1966), (largement parlée à l’époque médiévale dans les grandes régions voisines telles la Lorraine, la Franche-Comté ou la Champagne), donne des indications précieuses à travers les noms de plantes et leurs évocations en lien avec des pathologies traitées, la théorie des signatures ou la morphologie des plantes. L’un d’entre nous (C.B.) a réalisé une étude complète de l’origine étymologique (gallo-romane essentiellement) des dénominations vernaculaires en patois welche et leur signification symbolique.
Les anciens des villages savaient par expérience comment et quand récolter les plantes médicinales à l’état sauvage et les cultiver. Toutes les zones welches jusqu’à la ligne des crêtes, bien que totalement francophones, furent annexées par l’Allemagne avec toute l’Alsace-Moselle en 1870-1871, mais connurent un régime de faveur, car elles purent conserver partiellement l’usage de la langue française et du patois, et, donc, plus facilement,  les traditions afférentes. Le français et le patois furent tolérés, l’occupant ne pouvant bien évidemment pas imposer sa langue du jour au lendemain à des francophones. Et il en fut de même pendant l’occupation de 1940 à 1944.

 

 

Eléments du mode de vie

 

La cuisine tient, bien sûr, compte des particularités locales. L’un d’entre nous (C.B.), par exemple, a eu l’occasion d’assister à la fabrication d’un gâteau de Noël local appelé « Ogey » au musée du pays welche, à Fréland, en présence de nombreux habitants qui nous ont fait partager leurs recettes et leurs tours de main. Il s’agit d’un gâteau de fruits secs comparable au Berewecke alsacien, mais avec plus de pâte et des fruits, que l’on pouvait avoir à disposition autrefois, tels des pommes, cerises, abricots, raisins secs, etc.

Ces deux traditions culinaires, welche et alsacienne, avaient aussi un intérêt en terme de prévention, car les gâteaux incluent des fruits riches en vitamine C et en flavonoïdes ayant une action préventive du scorbut. Les anciens réalisaient également des jus ou des expressions de plantes telles que la grande ortie (Urtica dioica L.) ou la véronique Beccabunga (Veronica beccabunga L.), riches en vitamine C, sans oublier l’argousier (Hippophae rhamnoides L.), courant dans les zones alluviales proches et du Rhin, et les rosiers sauvages, fournissant les églantines partout ailleurs.

Rechercher des plantes à usage culinaire comparables à nos modernes compléments alimentaires permettait d’allier la présence de vitamine C (ou C1, qui  est l’acide ascorbique) aux flavonoïdes et anthocyanes, des colorants végétaux qualifiés autrefois de vitamine C2 et qui sont des cofacteurs de cette vitamine C1, renforçant son activité : la synergie des deux permet d’accroitre l’effet antioxydant (ou effet anti-vieillissement).
Sur le plan médical, subsistent de nombreux usages anciens de la médecine populaire  (Leser et Stoehr, 1997 ; Mortier, 1981)  du 19e siècle. Certaines personnes se souviennent de ce que leur avaient transmis leurs aïeux des pratiques médicales ou de santé avant l’utilisation massive des médicaments chimiques et avant l’introduction des lois sociales permettant un meilleur accès au médecin et au pharmacien.
Rappelons qu’un recueil de recettes familiales de remèdes, ou même une bonne formule efficace à base de simples, étaient considérés comme un bien précieux, souvent jalousement gardé, car quasi synonyme de trésor, garant de la bonne santé de la famille. Plusieurs anciens m’ont raconté qu’à titre de reconnaissance, lorsqu’un homme avait été sauvé d’une situation tragique, celui-ci faisait don à celui qui l’avait aidé d’une formule ou d’une recette.

Voici l’exemple (figure 1) d’un livre de recette de 1875 donnant une formule de tisane pectorale où sont mêlées des plantes anti-inflammatoires dites à mucilages, telles que la violette odorante sauvage et la guimauve cultivée ou achetée, des églantines riches en vitamine C ( « chopecul » dans le texte, allusion au poil à gratter de l’églantine connu comme irritant intestinal), du bois de réglisse (à action comparable à certains corticoïdes, comme stimulants de la corticosurrénale), et des fruits anti-inflammatoires tels que les raisins de Corinthe et les figues.

 

Figure 1. Manuscrit de 1875 (Photo Christian Busser)

 


Il s’agit là d’un mélange typiquement utilisé dans les cas de bronchite et associé en général au serpolet (espèces locales de thym, comme Thymus serpyllum L.) ou au thym vulgaire cultivé à thymol. C’est également le principe de la tisane pectorale d’Alsace, dont la formule fut réinventée au début du 19e siècle par des pharmaciens alsaciens et qui associe traditionnellement les sept espèces pectorales comme celles à mucilages pour leur effet fluidifiant et expectorant dans les hypersécrétions et la toux, à du thym vulgaire à thymol pour un effet antiseptique, antispasmodique et expectorant.

Nous remarquerons que les anciens avaient constaté, à l’instar de la médecine romaine, que le thym présentait une action contradictoire et en partie dépendante de la dose : d’une part fluidifiante et expectorante en cas d’hypersécrétion bronchique, utile en cas de toux grasse, mais aussi antispasmodique en cas de toux sèche. C’est aussi le cas des plantes à mucilages agissant aussi comme fluidifiant et expectorant en cas de toux grasse mais aussi comme anti inflammatoire en cas de toux sèche.

Notons qu’au 19e siècle rares étaient les habitants des campagnes qui pouvaient se permettre le luxe d’aller chez le médecin pour une maladie bénigne, pour une rhinite, une bronchite ou même un début de pneumonie ou de pleurésie. On appelait alors plus facilement le vétérinaire pour soigner les bêtes que le médecin pour les humains ! D’où l’utilité de la transmission orale et, aussi, des écrits que l’on trouvait dans les familles lettrées, souvent proches de l’instituteur, ou le curé du village.
M. Kirschleger rappelait, dans son ouvrage Flore d’Alsace (1862) : « On vous racontera les cures les plus merveilleuses opérées par l’eau-de-vie de gentiane ; notamment dans les catarrhes et les « flux divers » probablement lors de bronchites, pneumonies et pleurésies. [...]  Je me rappellerai toute ma vie l’horreur qu’inspira ce traitement incendiaire à un médecin ''broussaisiste'' : mais c’est une liqueur à enflammer les intestins les plus robustes. »

 

 

Ethnopharmacologie en pays welche et en zone dialectale

 

La première difficulté que rencontre l'ethnopharmacologie est celle de la langue et de l’identification botanique. La Société d’histoire du canton de Lapoutroie-Val d’Orbey a édité  (1998) un glossaire thématique du parler welche, qui donne les traductions des plantes les plus communes, poussant dans les champs et importantes pour l’agriculture comme fourrage ou « mauvaises herbes » par exemple), puis des plantes sauvages comestibles, des graines ou fruits consommées et enfin des fleurs et plantes sauvages officinales.
Il y est dit que Lé pré d’gaudremonn ne dno mi do bon fourèdj po lé vètch (c’est-à-dire : les prés de « gaudremoine» ne donnent pas de bon fourrage pour les vaches). L'un de nous (C.B.) s'est renseigné auprès de diverses personnes au sujet de cette plante mystérieuse en abondance à partir des Hautes Huttes à plus de 900-1000 m, qui ne donne pas de fourrage de qualité, qui faisait saigner du nez les soldats allemands et  les agriculteurs qui en respiraient simplement le parfum pendant le jour. Il s’agit de Meum athamanticum Jacq., une Apiacée, caractéristique de ces hauteurs. Encore nommée fenouil des Alpes (Fournier, 1948), elle a en effet le port d’une « ombellifère » (Apiaceae de nos jours), avec son ombelle blanche à la floraison et une odeur caractéristique que l’on retrouvait paraît-il autrefois dans le lait et les fromages de vaches qui en avaient pâturé. Sur le plan linguistique « gaudremoine » dérive du latin médiéval baldomonia (Bonnier, 1990) qui a donné « baudremoine » dans plusieurs régions de France. On sait par les pâtres des montagnes que le bétail évite la plante verte, mais qu’elle communique au foin son arôme et favorise remarquablement la sécrétion du lait, comme nombre d’Apiacées. La plante contient vraisemblablement un principe anticoagulant volatil. Les recherches en cours (Phytopharmacie, 2000) montrent que la racine possède des propriétés emménagogues (déclenchant les règles), et les feuilles sèches des propriétés anti-agrégantes plaquettaires (elles empêchent la coagulation du sang).
Nombre de formules furent citées pour toutes sortes d’affections, autant bénignes que graves à notre sens actuel en médecine humaine. Il est intéressant de voir que la médecine humaine et la thérapeutique vétérinaire n’étaient pas séparées et que, souvent, les mêmes plantes servaient à traiter des troubles voisins chez l’homme, la vache ou le mouton, tels que les mauves, véritables panacées en ce pays.
Les médicaments populaires sont constitués aussi bien de remèdes d’origine végétale, animale ou minérale. Les modes de préparations sont variés et vont de l’emplâtre à la fabrication d’alcools plus ou moins complexes, en passant par d’anciennes formules d’onguents aux matières grasses devenues introuvables (graisse de cerf), ou par la trituration, l’infusion, la macération, la décoction, l’enveloppement et l’utilisation des matières grasses pour faire pénétrer les principes actifs des plantes à travers la peau (les ancêtres de nos modernes patchs transdermiques). Certains chasseurs connaissent encore nombre de graisses animales utilisées pour leurs propriétés dermatologiques, antirhumatismales, antibactériennes, etc.

Il faut dire enfin que les traditions (Sarg, 1987) sur les plantes médicinales se sont assez bien maintenues jusqu’après la Seconde Guerre mondiale, parce qu’à Orbey, par exemple, il n’y avait pas de médecin français durant ce conflit, mais seulement un médecin allemand peu fréquenté par les gens de ce lieu. Les habitants du canton se soignaient donc essentiellement par les plantes et à l’eau de vie (Eschbach, 1992), et, surtout, ils s’échangeaient les simples dont ils avaient besoin ainsi que les recettes. Tout se passait dans un magnifique élan de solidarité.
De plus, beaucoup se souviennent que les Allemands leur faisaient ramasser, surtout en zones dialectales, des plantes pour eux (essentiellement les feuilles de ronce (Rubus fructicosus L. ; lè spinngk signifiant épine en patois, ronce ; Brombeeren en allemand et Bromra en alsacien) , la digitale (Digitalis purpurea L. ;  lo dau d’lou en patois et Fingerhut en allemand)  et l’ortie blanche (Lamium album L. : Honig bliemla ou Sengelnesselblüascht en alsacien), qui étaient ensuite entreposés sous le toit de l’église. Et ils se rappellent l’incendie spectaculaire de quelques églises, activés bien sûr par la présence de toutes ces plantes séchées.
La culture générale sur les plantes avait largement pénétré l’alimentation. On conseillait par exemple de consommer une fois par semaine des pommes de terre avec du serpolet (Thymus serpyllum L. ; Geisenmajoran ou Immelekrüt en alsacien), pour éviter les fermentations et aseptiser régulièrement le tube digestif (Bézanger-Beauquesne, 1990). Cela faisait partie de ce que l’on appellerait maintenant la médecine préventive, et en cela nos anciens possédaient une certaine sagesse, et même de l’avance, sur certaines conceptions médicales que l’on redécouvre.
Cette médecine préventive est encore vivante à travers les tisanes de santé propres à chaque famille et qui, souvent, tiennent compte des antécédents familiaux comme les mauves: Malva sp., lo fermèdjèl, ou Kaskrüt en alsacien, c’est-à-dire « plante-fromage », dont le fruit ressemble à un fromageon): utilisé en cas de constipation ou de toux grasse (Valnet, 1983 ; Anton et Wichtl, 2003) ; le cassis (Ribes nigrum L.) pour les rhumatismes (Bézanger-Beauquesne, 1990) ; le bouillon blanc (lè grèch dé nyè,  ou molène,  bien qu’il existe d’autres espèces que Verbascum thapsus L.) contre les angines ou les refroidissements fréquents (Bézanger-Beauquesne, 1990).

La plupart des plantes utilisées doivent être à portée de main. En plaine, les ravages de l’agriculture utilisant des fumures ou des pesticides de synthèse sont tels que la grande majorité des plantes médicinales ont disparu aux abords des champs, jusqu’au pissenlit (Taraxacum officinale Weber=Taraxacum dens leonis Asteraceae ;  lo pchèléy,  en patois et Bettsaïcher ou Kohblume en alsacien), qui se « redéploie » dans les gazons ! Certains anciens rappelaient que Dieu avait créé des plantes pour guérir et chacun doit pouvoir trouver à proximité de chez lui les plantes dont il a besoin. Il est d’ailleurs troublant de constater que beaucoup de rhumatisants connaissaient la reine des prés (Filipendula ulmaria (L.) Maxim .= Spiraea ulmaria ; Krampfkrüt ou Herrgottsbartla, Wiesenkönigin en alsacien), mais aussi la scrofulaire noueuse (Scrophularia nodosa L. ; Braunwurz en alsacien), riche en harpagoside, le composant principal de l’harpagophytum d’Afrique du Sud, l’une des plantes antirhumatismales les plus vendues au monde. Leurs usages fréquents au 19e siècle ont fortement régressé suite aux prescriptions d’anti-inflammatoires modernes, mais reviennent en force aujourd’hui à la faveur du développement des compléments alimentaires, depuis les années 1980.

En botanique, nous parlons de « vicariants » lorsque l’on trouve une espèce de plante lointaine dont le rôle dans la nature et la biodiversité sont comparables à une zone origine. En médecine populaire, nous trouvons également des correspondances entre une plante aussi courante que la scrofulaire noueuse dans nos sous-bois, autrefois panacée en cas de « scrofules », et de furonculoses  infectées en général par le staphylocoque doré et en cas d’affections rhumatismales et d’autre part l’harpagophytum africain : cela nous indique qu’il existe un certain nombre de plantes présentant les mêmes effets et contenant les mêmes principes actifs dans des familles botaniques ou des contrées éloignées d’une zone de référence.
Pour les maladies des femmes, l’éducation de l’époque, faite de beaucoup de pudeur, permettait la transmission des plantes courantes, mais moins bien de leurs usages. Les plantes couramment utilisées telles que l’armoise (Artemisia vulgaris L.), l’alchémille (Alchemilla vulgaris L. ; manteau de dame, ou Froïemantele en alsacien, dont la signification est la même, allusion au fait que la plante était consacrée à la Vierge, était considérée comme sacrée, et qu’elle était l’une des plantes clé de la gynécologie populaire), le lamier blanc (Lamium album L. Lamiaceae), la camomille allemande (Matricaria recutita (L.) Rauscher : ou matricaire  ou Mutterkraut en allemand ), l’achillée (Achillea millefolium L. Asteraceae) étaient connues. Le lamier blanc (Lamium album L.) était toujours très utilisé par les femmes en tisane de « santé », donc pour son usage préventif ou tonique (Bruneton, 2016), sans que toutes ces femmes ne connaissent réellement ses indications. Il est encore employé de nos jours.
La théorie des signatures est présente de manière sporadique. On parle par exemple de l’ortie blanche (Lamium album L.) pour les pertes blanches (Cazin, 1968), ou de la pensée des Vosges, de la variété violette, typique des Vosges (Viola lutea Huds.) pour le traitement des ulcères (Fournier, 1948) de couleur violacée.
Les connaissances sur les effets indésirables des plantes sont encore présentes. C’est ainsi que l’on trempait un rameau de bois joli ou daphné (Daphne mezereum L. ; Joli bois, ou bois gentil) dans l’abreuvoir du voisin pour empoisonner ses bêtes (Bruneton, 2016).
Les noms des plantes ne sont pas donnés par hasard : dans bien des cas, ils attirent l’attention sur une partie de cette plante ou une propriété caractéristique. La grande berce (Grande Berce Heracleum sphondylium L) est nommée suc de lapin, peut-être pour évoquer son pouvoir aphrodisiaque (Valnet, 1983). Le plantain (Plantago lanceolata L.)  est lè foyat de permettei, ou lè foyat de tcherpetè, soit la feuille du tailleur ou du charpentier, suivant la corporation à laquelle on appartient, ou Wundwegerich en alsacien, signifiant « la plante poussant au bord des chemins et traitant les plaies ». L’allusion au pouvoir cicatrisant de la plante est évidente (Anton et Wichtl, 2003).
Ce travail d’ethnomédecine permet une reconstitution de la pharmacopée populaire locale avec ses plantes, ses minéraux, ses dérivés animaux, ses matières grasses, ses alcools, ses préparations et les réflexions qui sous tendaient les formulations complexes.

Sur le plan écologique la sagesse populaire était évidemment proche du mode de vie agricole. Il était par exemple interdit (ou condamné par la population) de couper le fourrage avant la Saint Jean Baptiste, le 24 juin, pour que les graines sauvages puissent se disséminer. A l’inverse il était fortement recommandé de nettoyer son champ des chardons pour ne pas contaminer les champs des voisins par sa négligence.

Sur le plan de la transmission des savoirs, nous rencontrons une difficulté propre à nos régions développées et bien connues des ethnologues : les personnes interrogées peuvent transmettre fidèlement une tradition ancestrale sans plus l’utiliser pour leur famille. Mais, dans d’autres cas, des passionnés de plantes peuvent mêler des souvenirs anciens à des éléments plus récents provenant des années 1960, époque de la « phytothérapie rénovée », marquée par des personnalités comme J. Valnet, H. Leclercq ou M. Mésségué. Cependant une bonne bibliographie à base d’ouvrages sur les plantes médicinales ou de matières médicales du 19e siècle permet de vérifier la vraisemblance des informations, dont certaines peuvent être confirmées grâce à la science actuelle. La plupart des formules complexes proviennent de cahiers datés essentiellement de 1874 à 1890.

 

 

Un exemple concret : les mauves

 

Examinons maintenant une plante caractéristique des régions de l’ancien empire carolingien et développée primitivement dans toutes ses parties depuis la publication en 812 du capitulaire De Villis de l’empereur Charlemagne et la plus utilisée (contrairement à bien des régions de plaine et/ou de « vieille France » où c’est le lis blanc qui domine), à savoir la mauve. Il faut parler en réalité des mauves (famille des Malvaceae). Ce sont les remèdes les plus utilisés dans la région avec le saindoux et les eaux de vie.

 

 

Figure 2. Malva alcea L., ou mauve alcée, grande mauve sauvage à feuilles finement découpées de couleur mauve pastel poussant en touffes (crédit Christian Busser).

 

 

Voici quelques utilisations traditionnelles des mauves :

 • Dans les névralgies accidentelles : faire un cataplasme de feuilles de mauve fraîches et sèches ; le poser chaud le soir sur la partie malade et s’endormir si l’on peut ; « le lendemain on a perdu le souvenir de son mal ». Il faut remarquer que dans le langage du 19e siècle, une « névralgie accidentelle » est une blessure ou un traumatisme douloureux et infecté (éveillant la douleur au niveau des terminaisons nerveuses et non une névralgie au sens moderne) : dans ce cas l’action anti-inflammatoire et antibactérienne de la mauve peut rendre des services, même en usage externe.
• Dans les cas de coryza, en infusion en association avec la sauge et la bourrache.
• Dans les inflammations externes (panaris et furoncles), appliquer la mauve comme précédemment : utiliser fréquemment en association avec le « schnaps » ou le « faurlauf », première coulée de l’eau de vie), pour favoriser la cicatrisation après blessure (ou après incision d’un panaris) ou pour faire sortir les échardes ; la plante est souvent appliquée en compresses d’infusion concentrée.
• Dans les affections respiratoires, elle est très utilisée en infusion ou décoction ; de plus elle est souvent associée avec la farine de lin en cataplasme, voire les deux en cataplasme.
• Comme laxatif léger,  elle est utilisée en infusion ou décoction, souvent dans des tisanes de santé, composées par les familles, particulièrement pour les personnes du troisième âge ; de plus son effet adoucissant est reconnu par ses utilisateurs qui ont vu la différence avec les remèdes purgatifs actuels à base de séné ou de bourdaine.
Dans tous les cas cités, la plante peut être utilisée fraîche ou sèche ; coupée au début de la floraison, elle est conservée dans des sacs de papier ou de toile, sous forme de bouquets de la plante entière.

Sur le plan botanique on rencontre les mauves sauvages ou cultivées suivantes en Alsace : la petite mauve (Malva rotundifolia L. = neglecta Wall.r.), la grande mauve (Malva silvestris L.), la mauve alcée (Malva alcea L.) et la mauve musquée (Malva moschata L.).
Toutes ces espèces botaniques sont utilisées de la même façon et possèdent effectivement les mêmes propriétés (Fournier, 1948).

Propriétés reconnues : en pharmacie ce sont surtout les fleurs de la mauve sylvestre qui sont utilisées, tandis qu’en usage populaire on utilise aussi les bouquets de la plante entière des quatre espèces de mauve, éventuellement avec les jeunes racines ; les propriétés restent les mêmes (Anton et Wiltch, 2003).
Très riches en mucilages uroniques, presque toutes les parties de la mauve sont émollientes, calmantes, pectorales et laxatives (Bézanger-Beauquesne, 1990) ; les mauves entrent dans la composition des espèces pectorales et sert dans les cas de toux, bronchites, trachéites et laryngites ; elle sont très utiles dans les constipations des jeunes enfants et des vieillards, d’autant plus que ses mucilages l’indiquent dans les maladies inflammatoires des voies digestives ou urinaires (surtout gastro-entérites, diarrhées, dysenterie).
En usage externe, la mauve est efficace, soit en bains, soit en cataplasmes, dans le traitement des dermatoses (effet anti-inflammatoire), furoncles à staphylocoques, abcès. On a montré en effet que les fleurs de mauve sylvestre stimulent l’activité phagocytaire du système réticulo-histiocytaire (Delaveau et al., 1990), d’où son activité antibactérienne. C’est un exemple frappant où la médecine populaire connaissait un usage depuis des siècles qui ne fut établi qu’au 20e siècle.

 

 

Etudes ethnobotaniques, ethnopharmacologiques et ethnomédicales anciennes (diachronie) et dans les régions limitrophes, dans la période actuelle (synchronie)

 

Les premières études imprimées sur la flore alsacienne sont magnifiquement consignées dans les Kreuterbücher, premiers livres imprimés à Strasbourg au début du 16è siècle comme le célèbre Kräuterbuch von 1543 ou  New Kreüterbuch,  de Leonhart Fuchs. Ces Herbarii décrivent l’histoire de la plante depuis l’Antiquité gréco-romaine et celto-gauloise, les aspects botaniques, les propriétés et usages des siècles passés, les indications en usages externes et internes ainsi que les dosages. On y apprend, par exemple, que les primevères officinales étaient utilisées dans les suites d’accident vasculaire cérébral, probablement par suite de leur composition contenant de l’acide salicylique, un fluidifiant sanguin naturel. Leur lecture dans le texte (écrit avant l’invention du Hochdeutsch, ou allemand parlé actuel, dans le langage dialectal de Strasbourg des années 1500) est quasiment identique à l’alsacien actuel. De nombreux exemplaires de ces Herbarii de la plupart des écrivains de cette époque sont conservés dans les archives de la Bibliothèque nationale universitaire de Strasbourg.

Figure 3. Lust der Garten Riff 1548 (Photo Christian Busser)

 

 

Ces ouvrages s’appuyaient sur les descriptions des plantes figurant dans les œuvres de trois grands médecins grecs étudiés pendant tout le millénaire médiéval et bien au-delà, comme Hippocrate, Dioscoride et Galien, puis sur des écrits médiévaux dont ceux de l’Ecole de médecine de Salerne, principale faculté de médecine du Moyen-Âge en zone chrétienne, mais aussi sur ceux de l’abbesse Hildegarde de Bingen, laquelle  exerçait ses talents dans une région limitrophe du Bade Wurtemberg, ainsi que sur le Codex alsacien Guta Sintram, sur Hortus deliciarum de l’abbesse Herrade de Landsberg du mont Sainte Odile. Ces deux derniers manuscrits furent étudiés sous forme de publications par Pierre Bachoffner, le maître de l'un d'entre nous (C.B.) dans les études bibliographiques de l’histoire de la pharmacie, ancien président du Conseil de l’ordre des pharmaciens de Strasbourg.
Plus tard, le pasteur Jean-Frédéric Oberlin (1740-1826) enquêta auprès de ses paroissiens pour connaitre les usages anciens, qu’il consigna dans son herbier (toujours consultable au Musée de Waldersbach, au Ban de la Roche, et consacré à son œuvre) sous forme d’annotations en marge. Mais il ne s’en servit guère, préférant à ces usages lui paraissant dépassés, les indications modernes des plantes données par des médecins et pharmaciens de sa connaissance : le médecin Simon André Tissot, de Lausanne, ou les pharmacies de Strasbourg. Parmi celles-ci, la pharmacie du Cerf, détenue par la famille Spielmann, dont son contemporain Charles Frédéric Spielmann, descendant du célèbre Jacques Reinbold Spielmann (1722-1783), professeur de matière médicale (enseignement de pharmacognosie c’est-à-dire des plantes médicinales).

Jacques Reinbold Spielmann, « docteur en philosophie & en médecine, professeur public ordinaire en chymie, en botanique, & en matière médicale, dans l'université de Strasbourg », descendait lui-même d'une lignée d'apothicaires titulaires de la célèbre officine du Cerf en face de la cathédrale de Strasbourg. En sa qualité de directeur du Jardin botanique de Strasbourg, il se mit en relation avec un grand nombre de savants, avec lesquels il échangea plantes et graines. Il compléta les leçons de botanique qu'il dispensait à ses étudiants en pharmacie par des herborisations dans la plaine d'Alsace et des Vosges. Il publia Prodromus florae Argentinensis, en 1766, où il donne la liste des plantes sauvages cultivées dans la région de Strasbourg et Institutiones materiae medicae, en 1774, où il donne la liste des plantes du Jardin botanique et Pharmacopea generalis (Pharmacopée générale de Strasbourg), en 1783, fort connue en son temps.
F. Kirschleger (1804-1869), professeur de botanique à l'École supérieure de pharmacie de Strasbourg, fondateur de la Société philomathique vogéso-rhénane, qui a donné naissance à l’Association philomathique d’Alsace et de Lorraine, publia la Flore d’Alsace et des contrées limitrophes, en 3 volumes,  qui permet à tous les botanistes et écologues de comparer la flore du 19e siècle avec l’actuelle et de mesurer les pertes immenses en matière de biodiversité (Kirschleger, 1858).
L’auteure autrichienne Maria Treben (1907-1991) enquêta dans son pays de naissance autour d’une flore très semblable à la flore médicinale alsacienne et dans une langue compréhensible par les dialectophones, et elle publia en allemand, puis en français, son livre à succès  La Santé par la pharmacie du bon Dieu (en allemand: Gesundheit aus der Apotheke Gottes), vendu à des millions d’exemplaires, sorte de répertoire des indications autrichiennes de plantes médicinales, très comparables aux indications populaires alsaciennes, hormis de nombreuses exagérations vantant les mérites quasi miraculeux de certaines plantes (environ 30, en y ajoutant l’élixir du suédois, correspondant à l’évolution de l’antique formule romaine tinctura aloes composita).
Dans le land du Bade-Wurtemberg, près de Constance, Wolf-Dieter Storl, né en 1942, ethnologue spécialisé dans les populations amérindiennes et, aussi, dans l’ethnomédecine de son Land, publia de très nombreux ouvrages et, parmi ceux-ci, sur les espèces locales de Dipsacus, dont il préconisait l’usage de la teinture de la racine de première année (comme les Chinois avec une espèce proche) dans les neuroborrélioses et les formes arthritiques de la maladie de Lyme.

 

 

En guise de conclusion

 

Que reste-t-il aujourd’hui de cette longue histoire bimillénaire des plantes médicinales en Alsace et des aspects ethnographiques ? Essentiellement un savoir populaire scrupuleusement répertorié par des générations d’ethnographes qu’une approche scientifique nouvelle peut tenter de comprendre. Cela peut induire des idées innovantes pour l’avenir. Les anciens professeurs de matière médicale en faculté de médecine et aujourd’hui les professeurs de pharmacognosie dans les facultés de pharmacie ont connu et connaissent la longue histoire de ces plantes médicinales. La présence de véritables « musées » et réserves de plantes médicinales, souvent inédites en Occident, provenant notamment de pays ultra-marins et de civilisations lointaines et la connaissance de leurs usages traditionnels font l’objet de recherches effectuées dans les domaines de la botanique, de la chimie, de la pharmaco-toxicologie, voire - ce qui est plus rare- en clinique.

C’est aussi un moyen de faire se rencontrer dans les laboratoires des chercheurs en ethnopharmacologie venant de tous les continents, qui peuvent comparer leurs recherches sur des plantes traditionnelles, glanées encore de nos jours auprès de guérisseurs, de sorciers ou de chamanes ou auprès des populations locales de nombreux pays. Ce sont tous ces aspects qui nous réjouissent grâce à cette diversité d’approche et de partage qui contribue aussi à nous donner une « certaine idée » de la vie.

 

 

Références

 

Cette étude étant essentiellement issue du terrain, la bibliographie n’a servi que pour indiquer les usages reconnus. Pour ne pas alourdir le texte, les références à chaque citation de plantes (près de 200 citations) n’ont pas été mentionnées.


Anton R, Wichtl M. 2003. Plantes thérapeutiques (3e ed), Tec et Doc, Paris.
Bezanger-Beauquesne L, Pinkas M, Torck M, Trotin F. 1990.  Plantes médicinales des régions tempérées (2e ed),  Maloine, Paris.
Blamey M, Grey-Wilson C. 1992. La flore de France et d’Europe occidentale, Eclectis, Paris.
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Bruneton J. 2016. Pharmacognosie, phytochimie et plantes médicinales, Lavoisier Tec et Doc, Paris.
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Cazin FJ. 1868. Traité pratique et raisonné des plantes médicinales indigènes, Jalon des Savoirs, Paris (réédition 1997).

Delaveau P, Lallouette P, Tessier AM. 1980.  Planta méd., 40, 49-54.
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Galtier-Boissière M (ed). 1929. Larousse médical illustré, Librairie Larousse, Paris.

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Kirschleger F. Flore d’Alsace et des contrées limitrophes,,Chez l'auteur, Strasbourg.
Leser G, Stoehr B. 1997.  Plantes, croyances et traditions en Alsace, Edition du Rhin, Mulhouse.
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Une réaction de Michaël Guggenbuhl , conservateur en charge des collections et du fond patrimonial de la ville de Colmar

 

 

https://www.museumcolmar.org/sites/museum/files/2020-08/defranoux_mathe_BSHNEC_2020_76_art9.pdf


Note sur l'Eicones plantarum de J.T. Tabernaemontanus : un ouvrage exceptionnel de botanique du XVIe siècle - museumcolmar.org
Bulletin de la Société d'Histoire naturelle et d'Ethnographie de Colmar 2020 76 (9) 39 Clusius 1576 (233 estampes, aucune orchidacée) ; Rariorum aliquot stirpium, per Pannoniam, Austriam, et vicinas quasdam
www.museumcolmar.org

 

 

L'Edito

Traduire, c'est relier

 

Le Prix Maurice-Betz 2023 de traduction a été remis samedi 7 octobre à Colmar à Antonin Bechler, professeur de langue et littérature japonaises à l’Université de Strasbourg, traducteur du grand écrivain Kenzaburô Ôé, Prix Nobel de littérature en 1994.

 

Le Maire de Colmar, parrain et partenaire de la cérémonie, et le Consul général du Japon étaient présents. La manifestation prenait place dans le cadre du festival régional de traduction «D’une langue vers l’autre ».

En ces temps géopolitiquement troublés, il est important de valoriser la traduction. Car la traduction ouvre les horizons géographiques et culturels, elle relie les humains aux ancrages si différents, elle honore des figures universelles de la pensée et de la littérature. La traduction enrichit la polyphonie du monde.

 

Le Colmarien Maurice Betz (1898-1946, photo ci-dessus), écrivain et traducteur (de Rainer Maria Rilke, Thomas Mann, Friedrich Nietzsche), passeur entre les langues française et allemande en des périodes pourtant conflictuelles, est un symbole précieux pour notre région. Alors que le Goethe Institut a décidé de fermer son antenne strasbourgeoise, nous avons à veiller à l’ouverture rhénane et européenne de l’Alsace.

Le Prix Maurice-Betz de l’Académie d’Alsace existe depuis 1957 et a distingué des dizaines d’écrivains, poètes, traducteurs. Au-delà des remises de diplômes et des moments de convivialité qui les accompagnent, c’est un travail en profondeur qui s’accomplit, dans le meilleur des traditions humanistes d’ouverture et de rayonnement.

 

Bernard Reumaux
Président de l’Académie d’Alsace

 

Invitation à l’Agora du 19 novembre 2019

 

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