Par l’inversion des codes sociaux, la pandémie a plongé notre planète dans situation inédite, provoquant une crise existentielle, en plus de sanitaire : la distanciation, le confinement, la non-relation sociale sont devenus des vertus civiques ! Le principe fondateur de la libre circulation (Traité de Rome) a explosé, et les pays ayant vécu en Union européenne se sont à nouveau hérissés de frontières… Honnie, considérée comme irrationnelle et anti-scientifique, la fermeture des frontières est subitement devenue une mesure de salut public… Les petits commerces de centre-ville (cafés, librairies), créateurs de liens sociaux, ont été fermés par autorité d’État ; et, après ce traitement prolongé, certaines boutiques risquent leur disparition définitive. Tandis que de grands groupes internationaux, en position dominante, prospèrent sur et avec la crise sanitaire...
De vague en vague, certains secteurs d’activité vont se retrouver, malgré les aides financières gouvernementales d’urgence, dans une position périlleuse : chiffre d’affaires remplacé
par des endettements, et risque du dépôt de bilan. Quant aux situations individuelles, elles sont parfois traitées de manière aberrante : il se dit qu’en Angleterre une danseuse professionnelle a été
invitée à travailler dans la cybersécurité plutôt que de vouloir poursuivre dans la chorégraphie…
Loin de la société « conviviale » tant espérée, c’est le danger de l’ubérisation des métiers à la merci des plateformes numériques qui apparaît. Et se révèle, également, l’illusion de la «
globalisation heureuse » par une économie ultra-libérale à visée planétaire. Après des disputes peu honorables sur les tarmacs et la mise en évidence de nos dépendances pharmaceutiques
extra-européennes, le doute grandit quant à la vertu de la « gouvernance globale ». Utopie « Village numérique » et « One World » laissent la plupart des peuples sceptiques, peu enclins à se
dissoudre dans la
mondialisation.
L’indispensable culture
Nul ne peut douter de l’implication indispensable de la culture dans le processus de construction ou de consolidation européennes, sous forme d’échange d’idées, de valeurs, d’idéaux entre les peuples, et comme moteur d’intégration et de cohésion sociales. Alors pourquoi un retard de trente ans pour déclarer la culture « nouvelle étape de la construction européenne » ? Et pourquoi si souvent traiter la culture en variable d’ajustement, ou comme survivance retardée et folklorisée d’un vieux monde en voie d’extinction ?
La fonction sociale, économique et politique de la culture est réévaluée aux temps d’incertitude éthique et de dissolution des liens sociaux. La France a su montrer un chemin institutionnel plus
noble en 1959, sous l’impulsion pionnière de De Gaulle, et avec Malraux.
L’essence de la culture européenne réside dans une diversité vivante et fécondante. Ce qui est important, a résumé Edgar Morin, « ce ne sont pas seulement les idées maîtresses (christianisme,
humanisme, raison, science) ; ce sont ces idées ET leurs contraires, ET le dialogue des pluralités ». « Ce qui importe dans le devenir de la culture européenne, c’est la rencontre fécondante des
diversités, des antagonismes, des concurrences, des complémentarités, c'est-à-dire leur dialogique. » Permettant à chacun de trouver sa voie et son horizon, livres et lecture répondent,
précisément, à cette caractéristique
fondamentale.
La stratégie mondialiste privilégie l’unification, voire l’uniformisation simplificatrice. Mais elle apparaît alors entachée de deux erreurs majeures : d’une part, elle sous-estime la force des
nations ; d’autre part, elle veut harmoniser les communautés humaines par l’économie, ce qui la conduit à l’impasse. Car les peuples ne sont pas de simples populations interchangeables, et la
rationalité économique ne produit qu’un faible sentiment d’appartenance.
Dans un monde où l’homme manque à l’homme
La mondialisation issue du développement exponentiel des réseaux de communication, notamment informatiques, a eu pour effet l’interdépendance croissante des économies et des bouleversements dans
l’ordre culturel. La culture est alors invoquée pour recoudre le tissu local, national et international déchiré. La culture est souvent un bon recours ; mais c’est aussi parfois attendre trop d’elle.
« Ceci tuera cela », prophétisait Victor Hugo en regardant Notre-Dame de Paris. « Multiplié » par l’invention de Gutenberg, le livre imprimé a pu, en effet, gagner à ses idées en peu de temps un
nombre considérable d’esprits ; en ce sens, le papier a pu paraître plus fort que le majestueux édifice de pierre, « synthèse de tout un pays » (Auguste Rodin).
Certains croient assister actuellement, à la fois, à la fin de règne du livre et au « soleil couchant » des cathédrales. En réalité, le livre-papier, par la force irremplaçable de ses qualités
propres, a triomphé des menaces successives de la presse, du phonographe, du téléphone, de la radio, du cinéma et de la télévision, comme il survit aujourd’hui aux écrans d'ordinateurs.
Fidèle reflet de toute une civilisation, le livre, moteur de l’Histoire, a su s’adapter aux changements techniques. Que toute la chaîne du livre, de l'auteur à l'éditeur, en passant par
l'imprimeur, le diffuseur, le libraire, soit bouleversée par l’informatique, voire par la croissante dématérialisation de livres, ne signifie pas la fatale mort du livre. Dans son « immortalité
précaire » (Victor Hugo), le livre est une nouvelle fois entré en résistance.
Quant aux cathédrales, ces « livres de pierre », gardiennes de la mémoire de l’Humanité, chacun a pu constater en avril 2019 lors de l’incendie de Notre-Dame de Paris, la puissance de l’émotion
planétaire suscitée par le terrible événement. Tandis que l’on dénombre quatre millions de pèlerins et visiteurs par an pour la cathédrale de Strasbourg, « prodige du gigantesque et du délicat »,
admiré de Hugo et célébré par Goethe.
Il est donc totalement hors de question, pour nous, d’en finir avec les cathédrales et les bibliothèques ! Elles affirment la prééminence de Dieu et des hommes sur les choses.