Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts
    Académie d’Alsace   des Sciences, Lettres et Arts  

Covid-19 et humanisme

 

Par Daniel Guinier,

Expert de justice honoraire

Ancien expert près la Cour Pénale Internationale de La Haye

 

 

Problématique et réponse des lumières face à une crise majeure.

 

"Face à une pandémie annoncée et à la crise suivante…", nous avions alerté en 2009 sur la résurgence des crises sanitaires, laissant présager celle que nous connaissons, mais sans en prévoir ni le moment, ni la forme, ni les conséquences. Nous avions indiqué à ce propos : "L'incertitude et la difficulté de prévision sont d'autant plus grandes que l'humanité est dans une phase critique où s'accumulent des crises de nature et de niveau différents, alors que les grands systèmes sont peu diversifiés et interconnectés au niveau mondial, introduisant ainsi la possibilité de crise systémique".

 


Sur les constats et la perspective

 

La construction sociale de la pandémie Covid-19 est devenue puissante au plan mondial, et chacun pourra en mesurer le degré d’humanité et d’altruisme. Plutôt dépourvue, malgré les déclarations officielles, la France n’était pas prête et à tardé à réagir. Les héros ont été non seulement les personnels médicaux, mais aussi tous ces gens plus ou moins ordinaires, souvent démunis et, en tout cas, exposés en première ligne pour que la vie quotidienne de chacun ne soit pas interrompue. Le service public c’est aussi cela, avec le dévouement et les engagements constatés. Si, dans la tempête, des certitudes ont été ébranlées et des impostures révélées, l’Homme a démontré ses capacités dans des conditions extrêmes, par ses pratiques professionnelles et ses attitudes, son humanité, et son aptitude à adhérer à des décisions acceptables.

 

La fin de cette crise ne sera pourtant pas immédiate sans un traitement scientifiquement démontré comme efficace, en attendant un hypothétique vaccin, sous condition que le virus mute favorablement ou pas du tout. Pour l'instant, un abandon inconsidéré des mesures prises serait susceptible d'entraîner une croissance exponentielle du nombre de cas d'infection, et ainsi d’annuler le bénéfice des contraintes vécues. En cas de récidive, il ne serait guère imaginable que les États aient à nouveau recours à un confinement systématique impliquant l’arrêt de l’activité économique pendant des mois. Il ne s’agit plus de se faire entendre par des discours alambiqués et des communications hâtives, parfois contredits, mais de se faire comprendre grâce à des propos pédagogiques cohérents et une concertation préalable au plus proche des réalités locales pour prendre les meilleures décisions possibles et obtenir une plus large adhésion de la population à ses responsabilités de façon durable, en étant soucieux des libertés fondamentales qu’accorde la loi.

 


Sur la sécurité et la liberté

 

Pour notre sécurité, nos libertés ont déjà été brutalement entachées par un confinement général mais de façon inégale selon la situation des uns et des autres. Ainsi, toute privation de libertés mérite autant de prudence que de raison. La première liberté est la possibilité de se déplacer. Cette liberté peut être mesurée par l’ampleur de l’espace qui peut-être parcouru et le temps imparti, dont les limites imposées peuvent varier. La seconde est la capacité de consentir ou non à fournir des données relatives à nos déplacements ou nos rencontres.

 

Les sujétions réciproques du gouvernement et des citoyens doivent être éclairées, appropriées et contrôlées pour être acceptées. En effet, la privation temporaire concevable de nos libertés individuelles et collectives est une épreuve pour notre démocratie, et l'état d’urgence qui en découle ne doit pas être permanant. Pour contrôler cela, le conseil d’État, la CNIL, le défenseur des droits, et d’autres institutions et associations ont à y veiller.

 

Après la loi, c’est peut-être la philosophie du siècle des lumières qui est mieux à même de trancher, sinon d’apporter la réflexion nécessaire aux choix urgents qui se présentent aux décisions des dirigeants, autant qu’à l’acceptation des citoyens de ce qui leur sera proposé de la façon la plus claire et transparente possible, pour garder confiance.

L'Homme, soumis aux éléments, se contentait de calmer son angoisse en s’en remettant aux divinités. C’est avec la doctrine développée par J.-J. Rousseau (1712-1778) qu'intervient la responsabilité de l'Homme vis-à-vis du danger. Son ambition est de trouver ce qui assurerait à chaque individu sa sécurité tout en lui permettant de conserver sa liberté, deux impératifs dont l'existence simultanée n'est possible que par l'introduction du concept d'égalité. Il affirme que tout individu est aussi citoyen, ce qui s’exprime en disant qu'à tout droit, en outre celui de ne pas être exposé à des dangers, correspond un devoir où "chacun de nous met en commun sa personne et toute sa puissance sous la suprême direction de la volonté générale". Intervient ici la notion de volonté générale d'utilité publique qui se révèle intérieure à tout individu. Elle correspond à la conscience qui se fait entendre en chacun. Elle implique des changements d'attitudes qui nous concernent tous, individuellement et collectivement, quels que soient notre âge et notre position sociale. N'oublions pas que, si les personnes âgées ont besoin de sécurité, elles ont aussi grand besoin de liberté pour ne pas être empêchées de vivre pleinement le temps qu'il leur reste. C’est encore une question d’égalité, et toute discrimination à leur égard serait insupportable.

 

Cette crise, dont on peut mesurer les conséquences immédiates et difficilement la portée à long terme, incite à s'engager dans des actes et des choix qui reflèteront l'image de notre humanité, autant que notre capacité collective à l'endiguer et à anticiper les suivantes de toute nature.

 


Bibliographie sélective

 

Guinier D., 2003. Les indicateurs d'alerte sur la sellette - Observations au vu d'une crise sanitaire majeure. Expertises, n° 275, novembre, pp.377-381
Guinier D., 2009. Face à une pandémie annoncée et à la crise suivante… - Réponses pour la continuité de l'activité des entreprises, Expertises, n° 340, octobre, pp.337-342
Guinier D., 2020. La crise suivante est bien là ! Premières leçons de cette nouvelle pandémie de Covid-19 et aide possible des technologies numériques. Expertises, n° 457, mai, pp. 177-182

L'Edito

Cuvée de rêve

Ce fut pétillant comme un crémant, puissant comme un gewurz et énergisant comme un riesling : le colloque académique interrégional que nous avons organisé le 1er juin à Colmar sur le thème « Quelles vignes et quels vins demain ? » a fait se déplacer nos cinq académies sœurs de l’Est (Reims, Dijon, Besançon, Metz et Nancy).

De passionnantes communications ont donné à saisir que, au-delà des inquiétudes sur le monde vinicole (dérèglement climatique, maladies de la vigne, baisse de la consommation), de formidables adaptations se font jour, qui donnent confiance en l’avenir.

L’Académie d’Alsace s’est associée à l’Académie d’agriculture de France, qui organisait la veille une journée de communications scientifiques sur le même thème. Marion Guillou, présidente de l’Académie d’agriculture de France, et Jean-Robert Pitte, président d’honneur de la Conférence nationale des académies, ont livré au public un passionnant dialogue, ouvrant de belles perspectives. Le soutien de la Ville de Colmar, de la Collectivité européenne d’Alsace et du Crédit Mutuel a permis à nos invités venus de tout l’Est de profiter d’un séjour aussi qualitatif que passionnant et convivial.

L’Académie d’Alsace a ainsi conforté sa place unique et précieuse dans le paysage régional : un espace de compétences pluridisciplinaires, de libre débat, d’ouverture.

 

Bernard Reumaux
Président de l’Académie d’Alsace

 

Invitation à l’Agora du 19 novembre 2019

 

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