Il y a 80 ans, le 25 août 1942, le Gauleiter Wagner instaurait l’incorporation de force dans l’armée allemande des jeunes Alsaciens et Mosellans. 40.000 d’entre eux ne sont jamais revenus. Quelles leçons en tirer pour l’histoire ?
C’est une page tragique de notre histoire, intervenue il y a 80 ans, qui nous hante toujours. C’est une page noire dont nous portons encore les stigmates. C’est une page méconnue de l’histoire de
France, le plus souvent ignorée dans le roman national qu’est devenu le récit historique de notre pays. N’y aurait-il pas de place pour elle ?,
L’incorporation de Force, ce fut matériellement une ordonnance prise par le Gauleiter Wagner, daté du 25 août 1942, rendant le service militaire obligatoire au bénéfice du Reich. Désormais,
« tout Alsacien que les nazis considéraient comme de sang allemand, bien que français, devait contre sa conscience patriotique rendre le service militaire à l’ennemi » (J.L Vonau). On
faisait fi des racines comme des convictions d’une population qui vivait dans une région non pas occupée, mais annexée de fait.
Au regard du droit international, l’incorporation de force constitue un crime. Non pas un crime de guerre, acte isolé en général, commis à un endroit précis et localisé, mais un crime contre
l’humanité, je dis bien, contre l’humanité, reprenant l’argumentation de plus en plus répandue chez les juristes aujourd’hui. L’article 6 du Tribunal de Nuremberg répertorie 3 catégories d’actes
criminels perpétrés durant la seconde guerre mondiale : les crimes contre la paix, les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité. Est précisé notamment que doit être considéré comme crime
contre l’humanité « l’assassinat, l’extermination, la réduction en esclavage, la déportation ou toute acte inhumain commis contre les populations civiles avant ou pendant la guerre… » Cet
article 6, note J.-L. Vonau, n’est pas limitatif dans ses incriminations : l’incorporation de force constitue un traitement inhumain infligé à une population civile étrangère au mépris total du
Droit international.
Un crime qui s’est inscrit dans la durée : pour l’Alsace, du 25 août 1942 au 8 mai 1945.
Le bilan en est d’abord connu à travers sa froide comptabilité. Des 130 000 Alsaciens et Mosellans enrôlés de force, 40 000 ne sont pas revenus, soit un incorporé sur trois. 30 000
d’entre eux sont morts et 10 000 considérés comme disparus. Ce bilan s’accompagne ensuite d’un cortège de souffrances et de douleurs que nous avons du mal à restituer : que sont devenus les
disparus ? Sont-ils morts ? Et où ? Ce mal-être a été celui de nombreuses familles alsaciennes jamais renseignées donc jamais consolées. Dix ans après la guerre qui vit revenir le dernier
incorporé de force, nombreux étaient ceux qui continuaient à attendre. Impossible de faire le deuil.
Quant à ceux qui eurent le « bonheur » de rentrer, nombreux étaient ceux que l’horreur de la guerre et de l’internement en URSS, à Tambov notamment, où ils furent 15 000 à
être internés et où 2000 moururent, avaient profondément ébranlés, définitivement marqués, psychologiquement fragilisés et souvent socialement inadaptés.
La dimension humaine du drame de l’incorporation de forces a été sous-estimée : pas de fête de la Libération pour eux, pas d’invitation aux nombreuses cérémonies patriotiques de
l’après-guerre, pas de reconnaissance de la nation, ni médaille ni drapeau, mais l’exclusion et l’oubli, une forme de marginalisation. Ils avaient combattu sous un uniforme ennemi. Ils avaient été
dans le mauvais camp même si c’était à leur corps défendant. Ils le payeront toute leur vie.
Il fallut attendre des décennies avant qu’ils ne s’expriment. Juste avant de disparaitre, le plus souvent. Ils ne s’étaient pas consolés du fait qu’ils n’avaient pas été tout seuls. L’action
délictueuse de l’Etat allemand avait, outre L’Alsace-Moselle, concerné le Luxembourg, la région d’Eupen et de Malmédy en Belgique, une partie de la Silésie et, probablement aussi, le Banat : ce qui
représente un demi-million d’incorporés de force. Et pas davantage étonné de voir la République Fédérale Allemande consentir à un dédommagement de 250 millions de DM versés à l’Entente
franco-allemande en 1981 tout en continuant à prétendre que l’incorporation de force n’avait été qu’un léger manquement au droit, en aucun cas un crime contre l’humanité, ni même un crime de
guerre.
On en est toujours là ! Eux, par contre, le sont de moins en moins. Là !
Référence :
Jean-Laurent Vonau, L’Alsace annexée 1940-1945, Editions du Signe, 2022