Éditorial
Être de son temps et savoir d’où l’on vient
Bernard Reumaux
Président de l’Académie d’Alsace
« À quoi sert donc l’Académie d’Alsace ? » Cette question est souvent posée à nos membres. Une curiosité nourrie d’ignorance teinte l’interrogation. En effet, quelle peut bien être, en ce xxie siècle
ouvert à tous les vents, traversé de puissantes interrogations, la fonction d’une institution coiffée du noble et ambigu terme d’académie ?
Un mot, une formule, une évidence en guise de réponse : « Notre Académie sert l’Alsace. »
Voilà à quoi nous servons ! Oui, depuis 1952, la fonction de l’Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts s’inscrit dans cette notion de service, avec une succession harmonieuse de styles et de
présences au monde qui reflètent l’évolution de la région. Servir la région, c’est-à-dire réunir des personnes qui, par leurs actions et leur rayonnement, dans un esprit résolument
transdisciplinaire, illustrent un attachement désintéressé et vigilant au bien commun régional.
Une Académie n’est pas une institution publique ou un corps constitué, ni une association de militants réunis autour d’une cause, ni un club-service ou une amicale. C’est le signe vivant, et un peu
mystérieux, que l’esprit du lieu, le génie propre d’une terre, peuvent s’incarner dans une rencontre de femmes et d’hommes qui savent conjuguer leurs complémentarités.
L’intuition de nos pères fondateurs était généreuse et visionnaire, en modelant une compagnie régionale à partir des traces des anciennes académies locales que les chocs de l’histoire avaient
éteintes. S’assumer fièrement alsacien et français, tout en affirmant prophétiquement l’impérieuse nécessité d’une construction européenne, d’une ouverture vers l’espace rhénan, vivre sans complexe
cette identité tridimensionnelle, levier d’une renaissance collective, d’un nouvel humanisme porteur de sens : tout cela n’allait pas de soi dans les années 1950. Et reste d’actualité tant les
repères anciens sont aujourd’hui brouillés. Car qui saurait répondre avec pertinence à ces questions : « Qu’est-ce que l’Alsace aujourd’hui ? » ; « Qu’est-ce qu’être alsacien ? ».
Eh bien voilà le chantier thématique que l’Académie d’Alsace ouvre en 2019, sous forme d’Agoras nomades, donnant la parole à ceux – pas forcément connus – qui contribuent à façonner l’Alsace du xxie
siècle. Dans un corps social qui a tendance à cloisonner les milieux et les personnes, l’Académie d’Alsace a la légitimité et l’indépendance pour créer des passerelles et définir un espace commun.
Membre de la Conférence nationale des Académies (qu’elle préside pendant deux ans), affiliée à l’Institut de France, elle n’entend pas s’enfermer dans un entre-soi régional souvent synonyme, en
Alsace particulièrement, de frustrations et de ressassements, mais s’ouvrir à son environnement national et européen.
L’Alsace est féconde et rayonnante lorsque son destin singulier épouse de vastes défis et se connecte aux grands horizons.