25 juin 2017 - Turckheim Trois Epis
Chers confrères et consœurs de l’Académie,
Mesdames et Messieurs,
Cher Dominique Huck,
En vous attribuant en 2016 son Prix annuel de la Décapole, pour votre monumentale Histoire des langues de l’Alsace, notre Académie n’a pas seulement couronné ce que l’on appelle parfois, de manière admirative et respectueuse, l’ « œuvre d’une vie », mais aussi un ouvrage-clé pour la compréhension de l’Alsace d’aujourd’hui et de demain. A ce titre, il a semblé pertinent au comité de l’Académie de vous proposer de faire partie de notre compagnie. Et ce même comité m’a demandé, en tant qu’éditeur de cet ouvrage, de vous présenter devant nos membres.
Dominique Huck a eu la jeunesse, l’éducation et l’environnement de toute la génération des babyboomers projetés dans les Trente Glorieuses. Un monde ouvert, prospère et solidaire, des possibilités infinies d’horizons professionnels, de destins choisis. Avec les tentations de jeter aux orties le terroir, de dédaigner l’identité originelle au profit de ce monde nouveau et sans racines qui, partout, s’ouvrait.
Rien de tel chez Dominique Huck. Né à Strasbourg dans le quartier populaire et vivant de Cronenbourg, il est élevé au sein d’une famille alsacienne comme il y en a tant, c’est à dire avec des ancêtres optants en 1870 et d’autres venus de Berlin et de Silésie. Découvrant véritablement le français en arrivant à l’école, il développe progressivement un goût pour l’histoire et pour l’allemand. Il prend acte avec étonnement du complexe mélange des langues, entre français et dialecte, et de la condescendance manifestée vis-à-vis de sa langue maternelle, même par des Alsaciens dits de souche. Cela l’intrigue plus que le révolte. Le voilà qui s’interroge sur la place des langues dans la société, leurs rapports de force, de séduction, de rejet. A l’Université, il étudie l’allemand et les lettres modernes : CAPES puis agrégation d’allemand. Il entre à l’IUFM de Sélestat pour, 15 ans durant, former les enseignants à l’apprentissage de l’allemand, devenant l’un des premiers spécialistes de cette discipline.
Raymond Matzen et Adrien Fink lui font alors signe – on est à la fin des années 80 – pour intégrer par étapes le Département de Dialectologie de l’Université de Strasbourg. Plus tard, le recteur Jean-Paul de Gaudemar le charge d’une mission d’évaluation de l’enseignement de l’allemand dans le système scolaire alsacien. Un poste « où on prend des coups », confesse Dominique Huck avec la discrétion qui est une marque de fabrique chez lui. Professeur d’Université en 1997, directeur du Département de Dialectologie en 2011, Professeur émérite depuis l’an dernier, il pourra continuer – fort heureusement – à diriger des travaux de chercheurs. Et aura davantage de temps disponible, dont notre Académie pourra profiter.
Discret et bûcheur, c’est un observateur attentif et privilégié de la scène régionale, mais il se place plutôt en retrait, peu engagé dans les milieux associatifs régionaux. Il dit : « On peut difficilement à la fois observer et s’engager ». Ses engagements, réels et de longue durée, se sont exercés à l’intérieur du système éducatif, jamais dans l’espace public, pensant pouvoir agir plus efficacement de l’intérieur. D’autant que, comme il le dit lui-même, « selon les inspecteurs d’académie, les recteurs et ... l’air du temps syndical, les logiques politiques au sens idéologique, parfois assez personnelles, des responsables, l’emportaient sur une politique linguistique éducative globale, plus proche des textes nationaux. »
Voilà donc qui est Dominique Huck, un enseignant-chercheur adepte de l’injonction de Marc Bloch à ses collègues universitaires : « assurer le service en ville », c’est-à-dire avoir une présence active et responsable dans la société.
A ce titre, il a toute sa place dans notre Académie !