Académie d’Alsace des Sciences, Lettres et Arts
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France, Allemagne, Alsace : à la croisée des chemins de mémoire

Théo Graber,

secrétaire général adjoint de l’Académie d’Alsace

La Direction des patrimoines, de la mémoire et des archives du Ministère des Armées vient de faire paraître un numéro hors-série, La mémoire en France et en Allemagne, de sa revue Les Chemins de Mémoire. Pourquoi et comment commémore-t-on des deux côtés du Rhin ? Quelles évolutions souhaitables ? Et en Alsace-Moselle ? Parmi les auteurs, notre consœur Frédérique Neaud-Dufour, ancienne directrice du Struthof.

 

La lecture de ce remarquable document de synthèse et d'exposition de la problématique alsacienne-mosellane repose la question du pléthorique calendrier patriotique français, très différent du sobre calendrier mémoriel allemand.  
Le procès de l'inflation mémorielle est ancien et complexe : on compare entre elles des nations qui n'ont pas eu des histoires comparables, et on plaide pour la pragmatique réduction du nombre de commémorations, supposant, sans preuve, créer ainsi la ferveur populaire autour d'un tout petit nombre de cérémonies restantes. Or, rien n'est moins sûr.


Les partisans du maintien des cérémonies s'appuient sur le contenu pédagogique spécifique de chaque commémoration, caractère que la fusion dans la cérémonie du 11 novembre, Memorial Day à la française, ferait inéluctablement disparaître. A la grande satisfaction des révisionnistes anciens et de nos actuels déboulonneurs appelant avec véhémence à la déconstruction à répétition des identités et des cadres, et prônant une "cancel culture" !


La stratégie de la mise en avant du concept de "Mémoire commune" montre aussi rapidement ses limites et sonne chez certains comme une dépossession dans un pays qui a déjà beaucoup souffert de la concurrence des Mémoires (par exemple, résistance gaulliste, juive, communiste, intérieure, extérieure, etc.), sans oublier, sur les territoires d'Alsace et de Moselle, le drame indicible des annexions et des incorporations de force dans l'armée ennemie. Posant sur nos monuments un pathétique "A nos Morts !", en lieu et place d'un impossible "Mort pour la France !"
Plus fondamental encore, notre regard psychologique est sujet à l'erreur : qu'on le veuille ou non, la Mémoire est, par essence, menacée d'effacement ; et l'Histoire, par nature, tragique. Pourtant, nous préférons croire en une Mémoire éternelle ("Les grands hommes, les héros, ne meurent jamais") et en une Histoire apaisée – voire finie – et juste, consolant les victimes éprouvées et châtiant sévèrement les monstres. Mais l'Histoire oublie beaucoup, efface et ne répare que très faiblement. Pensez, en face des millions de victimes, au nombre dérisoire de condamnés au procès de Nuremberg.


La démocratie et le patriotisme nécessitent un peuple. Mais, la guerre terminée, ce dernier semble hélas peu disponible. Accaparé par d'autres questions prioritaires, le peuple choisit souvent, à regret, de s'en remettre à ses élites politiques, elles-mêmes submergées. Et naturellement totalement incapables de "déplier" et de "réparer" l'Histoire.
Le lourd poids des morts et des infirmes commande un sentiment de dette et de solidarité à leur égard, mais n'en définit pas la forme la plus appropriée et appelée à évoluer dans le temps.


www.cheminsdememoire.gouv.fr

Matthieu Arnold évoque Albert Schweitzer dans la magnifique salle de la Décapole de l’hôtel de ville de Munster. Photo Gilles Winckler.

L'Edito

Saison nouvelle

 

L’assemblée générale de l’Académie d’Alsace, magnifiquement accueillie en la salle de la Décapole de l’hôtel de ville de Munster (merci au maire, Pierre Dischinger) samedi 6 septembre, a donné le ton d’une saison nouvelle qui s’annonce riche.

Remise du Prix de la Décapole, qui couronne chaque année une publication historique de qualité, au collectif d’auteurs qui a rédigé l’ouvrage  La Coop d’Alsace, histoire et héritage d’une utopie. La prestation des lauréats fut passionnante : la Coopé, c’est (ce fut) l’Alsace !

Brillante conférence de Matthieu Arnold, professeur à la faculté de théologie protestante de Strasbourg, sur Albert Schweitzer, pour le 150e anniversaire de sa naissance, et après la publication de sa biographie (Ed. Fayard) qui renouvelle les regards sur le docteur-théologien-philosophe-musicien qui a fait du « respect de la vie » la ligne de conduite de tous ses engagements. La conférence a été complétée par le témoignage de Francis Guthleben, coordinateur de la publication Mon Albert Schweitzer, qui réunit des dizaines de témoignages sur le plus célèbre des Alsaciens et connaît une diffusion tous azimuts et tous supports (vidéos, interventions scolaires).

La parution des Actes du colloque « Quelles vignes et quels vins demain ? » organisé en 2024 à Colmar par notre académie avec les cinq autres académies de l’Est (Dijon, Reims, Besançon, Nancy et Metz) a été saluée, témoignage de notre contribution éclairée aux débats qui parcourent la profession et, plus largement, le grand public. Illustration de notre « utilité sociale » au service de la région.

Quant à l’assemblée générale elle-même, menée avec rigueur et concision, elle a notamment vu l’intronisation de cinq nouvelles et nouveaux membres. Fidèle à sa vocation, régionale, transdisciplinaire et multigénérationnelle, l’Académie d’Alsace des sciences, lettres et arts ouvre une saison active. A suivre…

 

 

Bernard Reumaux
Président de l’Académie d’Alsace

 

Invitation à l’Agora du 19 novembre 2019

 

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